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(volostnoî skhod), qui lui-même est nommé par les chefs de famille de chaque village[1]. Ce tribunal sort ainsi d’une élection à deux degrés. Le nombre de ses membres varie de quatre à douze, selon les dimensions et la population de la volost. Les juges doivent tenir une audience tous les quinze jours, d’ordinaire le dimanche. Les anciens de village, le starchine et les starostes, sont formellement exclus de cette magistrature ; ils ne peuvent ni se mêler à la procédure ni même assister à l’audience. Jusque dans cette justice anormals on a ainsi rigoureusement appliqué le principe nouveau de la division des pouvoirs. Au village, cette séparation reste souvent plus apparente que réelle; si le maire ou starchine ne peut siéger parmi les juges, il fait souvent élire ses amis et ses créatures ou tient les élus dans sa dépendance[2]. Il ne faut pas oublier du reste que sous le régime de la propriété collective, l’assemblée de village, le mir, source de tous les pouvoirs locaux, tranche souverainement toutes les questions touchant au partage des terres ou à la répartition de l’impôt, et possède sur ses membres une sorte de pouvoir disciplinaire qui naguère encore s’étendait jusqu’au bannissement et à la déportation en Sibérie[3].

On ne saurait exiger des juges de volost une instruction supérieure à celle de la moyenne des paysans. La plupart sont entièrement illettrés : sur cinq ou six, il n’y en a guère qu’un qui sache lire et écrire[4]. Le plus grand nombre se contente de tracer une croix au-dessous des actes rédigés par le pisar ou greffier communal. La loi permet aux communes de voter à leurs juges une indemnité, mais d’ordinaire ils restent sans rétribution. Pour les paysans, ces fonctions semblent ainsi trop souvent une charge sans compensation, en sorte que d’habitude elles sont loin d’être recherchées. Beaucoup regardent cette magistrature gratuite comme une fastidieuse corvée, et dans certaines volostes on y appelle à tour de rôle tous les chefs de famille. De là parfois des abus, de là le manque d’indépendance du tribunal et l’influence excessive de l’ancien (starchine), et surtout du greffier qui, dressant les actes, dicte fréquemment les sentences, et fait parfois trafic de son influence. La vénalité, presque entièrement expulsée des tribunaux ordinaires,

  1. Voyez la Revue du 15 août 1877.
  2. En outre, par une sorte d’inconséquence plus ou moins justifiée par les besoins de l’ordre public, le starchine et les starostes ont personnellement le droit de frapper leurs administrés d’une amende d’un rouble et de deux jours de détention ou de travail forcé au profit de la commune. S’il veut infliger une peine plus sévère, l’ancien est obligé de déférer le coupable au tribunal de volost, qui seul aujourd’hui peut condamner aux verges.
  3. Voyez la Revue du 15 août 1877.
  4. C’est la proportion indiquée par la commission d’enquête.