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de mécomptes. Une commission spéciale fut chargée d’étudier l’organisation judiciaire des pays étrangers, de la France et de l’Angleterre en particulier. Des rapports de cette commission fut tirée et comme extraite la nouvelle organisation russe, car dans sa liberté de tout faire et de tout essayer, le gouvernement de Saint-Pétersbourg a eu la sagesse de ne point mettre son amour-propre à faire du neuf. La réforme de ses tribunaux a été moins une création originale qu’une combinaison et une adaptation de divers élémens presque tous empruntés aux peuples les plus avancés de l’Europe.

La Russie a, dans l’ensemble et les détails de son système judiciaire, imité la France et l’Angleterre, prenant à l’une un trait, à l’autre une ligne, mais elle ne s’est pas contentée de fondre de son mieux ce qu’elle dérobait ainsi à l’étranger, elle n’a pas uniquement copié ceux qu’elle pouvait considérer comme ses maîtres, elle est remontée jusqu’au type idéal, jusqu’aux principes abstraits dont s’étaient inspirés ses modèles. Ce que le gouvernement impérial a pris comme règle dans cette œuvre ce sont les maximes du droit public européen, les principes mêmes de la justice moderne. Si la réforme judiciaire a été (a plus largement conçue et la plus résolument conduite de toutes les grandes réformes de l’empereur Alexandre II, c’est qu’au lieu de s’appuyer uniquement sur des données empiriques et sur les convenances du moment, elle a une base solide et rationnelle, qu’elle repose tout entière sur des idées générales et que, sauf de rares et récentes exceptions, les principes qui lui ont servi de fondement y ont toujours été fermement appliqués. Aussi cette réforme possède-t-elle ce qui manque trop souvent à ses contemporaines, l’esprit de suite, l’unité.

Quels sont ces principes qui servent de règle à la nouvelle organisation de la justice? C’est d’abord la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir administratif, et l’indépendance des magistrats et des tribunaux, du plus humble au plus élevé. C’est l’égalité de tous les sujets du tsar devant la loi, sans distinction de naissance ou de grade, l’abolition des juridictions spéciales, et la suppression devant les juges des différences de classe ou de caste. C’est la publicité de la justice avec la procédure orale, les tribunaux jusque-là fermés à la lumière, ouverts au grand jour pour fonctionner sous le contrôle de l’opinion et de la presse. C’est enfin la participation directe de la population à la justice, ici par le jury, là même par l’élection des juges.

Pour nous. Français et Occidentaux, la plupart de ces principes n’ont rien de nouveau ni de singulier; en Russie, au sortir du servage, ils excitaient bien des étonnemens, des colères et des craintes, ils soulevaient l’opposition de toutes les influences intéressées au maintien de l’ancienne corruption et de l’ancienne confusion.