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pour eux nouvelle, par d’insinuantes précautions oratoires, par des expositions lumineuses, par la musique des périodes et par un pathétique que ce jour-là des Grecs n’ont pas dû épargner. Les sénateurs éprouvaient des sentimens dont ils ne se rendaient pas compte. Charmés et humiliés de l’être, entraînés bien qu’ils eussent voulu résister, ils disaient naïvement en sortant : « Les Athéniens nous ont envoyé des députés non pour se justifier, mais pour nous obliger à faire ce qui leur plaît. » C’était la mauvaise humeur de l’admiration impuissante. Si ces Romains dans leurs assemblées avaient déjà tressailli sous quelques éclats d’éloquence, pour la première fois ils venaient d’être exposés aux douces violences de la persuasion.

La renommée de ces discours prononcés au sénat ou dans des réunions privées remplit aussitôt la ville, dit Plutarque, traduit par Amyot, « comme si c’eust esté un vent qui eust fait sonner ce bruit aux aureilles d’un chacun. » On vantait surtout Carnéade et on disait « qu’il estait arrivé un homme grec savant à merveilles, qui par son éloquence tirait et menait tout le monde là où il voulait, et ne parlait-on d’autre chose. » On entoura les philosophes, on désira les entendre ; les jeunes gens surtout furent tout à coup saisis « d’un si grand et si véhément désir de savoir, que tous autres plaisirs et exercices mis en arrière, ilz ne vouloyent plus faire autre chose que vacquer à la philosophie, comme si ce fust quelque inspiration divine qui à ce les eust incités. » Plutarque ajoute un fait assez surprenant, qui montre que l’ignorance romaine commençait à être mûre pour la philosophie, c’est que les pères de famille romains, qui jusqu’alors l’avaient repoussée, furent heureux de voir leurs fils se plaire aux discours de ces hommes admirables et prendre goût aux lettres de la Grèce. Du reste, quand on a lu les comédies de Plaute et de Térence, qu’on sait à quoi les jeunes gens à Rome passaient leur temps, quand on les a vus dans leur monde de parasites et de courtisanes, on comprend que les pères romains, sans pourtant partager l’enthousiasme de la jeunesse pour les étrangers, aient encouragé ce goût nouveau pour la philosophie, qui de tous les goûts était le plus innocent, et, ce qui ne déplaisait pas à des Romains, le moins dispendieux.

Durant un assez long séjour à Rome, en attendant l’arrêt du sénat, les ambassadeurs, de plus en plus sollicités à parler en public, ouvrirent des cours ou plutôt, comme nous dirions, des conférences et discoururent séparément dans les lieux les plus fréquentés, devant un nombreux auditoire. S’ils exposèrent chacun, ce qu’on peut supposer, quelques points de leurs doctrines respectives, les leçons du péripatéticien Critolaüs, le disciple d’Aristote,