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fêtes de Chambéry. On pourrait citer bien d’autres mésaventures du même genre pour montrer combien il est dangereux à un souverain, quelle que soit sa supériorité, d’être trop accessible aux étrangers et de traiter les affaires sans l’intermédiaire de ses conseils, surtout lorsqu’il a le cœur bon et l’esprit conciliant. Il était indispensable d’insister sur cette trop grande facilité de caractère de l’empereur; s’il eût été moins abordable, sa politique étrangère aurait été mieux garantie contre les illusions funestes et les cruels mécomptes.

C’est le 22 juillet que le roi apprenait de son ambassadeur à Paris que ses désirs étaient exaucés. M. de Bismarck, qui prévoyait tant de choses, n’avait pas prévu assurément que l’empereur procéderait aussi grandement: « Nous aurons une paix qui en vaudra la peine, écrivait-il de Brünn le 9 juillet, dans une lettre familière, mais à la condition de ne pas exagérer nos demandes, de ne pas croire que nous avons conquis le monde, que nous sommes seuls en Europe, et que nous n’avons pas à compter avec nos voisins[1].» — « Il nous faut être extrêmement modestes dans nos prétentions, » avait dit aussi le baron de Schleinitz, en apprenant que l’empereur s’interposait en médiateur, et M. de Keudell, le confident de M. de Bismarck, disait de son côté : « Il importe de ne pas froisser la France, il faut s’arranger avec elle, et si l’empereur veut prendre la Belgique, il peut compter sur l’alliance prussienne. »

M. de Goltz, comme au lendemain de Gastein, avait fait merveille; il s’était réhabilité au-delà de toute attente!

C’était la politique du roi qui, cette fois, l’emportait sur les prévisions timorées du ministre, tout prêt à transiger et à se contenter, en face de notre résistance officielle, d’un minimum modeste de 300,000 habitans. Enregistrer les bénéfices de la guerre aussitôt acquis, ne pas violenter la fortune et se méfier des incidens imprévus, tel était le système de Frédéric II. Mais le roi interprétait les traditions de sa maison en soldat, avec le sentiment de sa supériorité militaire, certain que désormais il saurait tenir la France en respect. Il ne se préoccupait ni des nécessités politiques, ni de l’engagement qu’il avait contracté en acceptant nos préliminaires ; il n’avait en vue que le jugement de l’armée et la gloire de sa couronne. La confédération du nord était une conception politique à laquelle il n’attachait qu’un prix secondaire, car elle laissait debout ceux qu’il avait à cœur de supprimer. Il était annexionniste de tempérament, et il considérait que son peuple, élevé traditionnellement dans l’esprit de conquête, se trouvait sur ce point en parfait accord de sentiment avec lui. Il était persuadé d’ailleurs qu’il n’avait rien négligé pour conjurer la guerre, qu’il l’avait faite malgré lui,

  1. Lettre à la comtesse de Bismarck, datée du quartier général de Hohenmauth, 9 juillet 1866.