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au quartier général, on put constater que les convois militaires se succédaient sur les lignes de l’ouest. L’armée commençait à opérer un mouvement de conversion.


IX. — L’ACTION DE M. DE GOLTZ A PARIS.

L’heure était solennelle. Tout allait dépendre du parti que l’ambassadeur du roi saurait tirer de l’état des choses à Paris. Bien renseigné comme il l’était sur notre force de résistance morale et militaire, M. de Bismarck avait lieu d’espérer que le dernier mot de la crise où se trouvait le cabinet des Tuileries resterait à la politique expectante. Le comte de Goltz en effet multipliait ses démarches; il avait recours à tous les moyens, intimidant les uns, rassurant les autres. Il allait des Tuileries au Palais-Royal, du Palais-Royal au ministère d’état, évitant le quai d’Orsay, et, lorsqu’il trouvait porte close, poursuivait sa campagne la plume à la main. C’est aux indispositions alors si fréquentes de l’empereur et à l’amour de M. Rouher pour sa retraite de Cercey que nous sommes redevables de quelques documens importans qui nous permettent aujourd’hui de reconstituer dans leur ensemble les négociations compliquées, si obscures et si mouvementées, qui se poursuivaient entre Paris et le quartier général établi victorieusement à Nikolsbourg. La mission de M. de Goltz eut pour notre politique des conséquences si graves qu’il ne sera pas sans intérêt de consacrer quelques lignes à l’esquisse de ce personnage.

Il était laid, d’un blond tirant sur le roux, l’œil petit et perçant; son rire bruyant et saccadé avait le caractère d’un tic; il cachait une grande pénétration sous une bonhomie vulgaire. Politique réaliste, il avait servi tous les partis. Sarcastique et médisant, mais avec à-propos, il ne décochait ses traits que contre les absens. Tout à la fois, il affectait pour l’empereur le dévoûment le plus respectueux, pour l’impératrice l’admiration la plus passionnée, et il affichait un certain dédain pour les conceptions aventureuses de M. de Bismarck, laissant entrevoir qu’un jour ou l’autre il pourrait être appelé à réparer ses fautes. En se constituant le défenseur dévoué de nos intérêts auprès de sa cour, il nous permettait d’espérer que le jour de son avènement au pouvoir nos rapports avec la Prusse ne laisseraient plus rien à désirer. C’était donc à tous égards un personnage à ménager, car on pouvait se flatter que les attentions qu’on lui témoignait ne seraient pas perdues. Il eut le talent de conserver jusqu’à la fin de sa mission la confiance qu’il avait su inspirer, et lorsque atteint d’une cruelle maladie, un cancer à la langue, il alla mourir tristement à Berlin, il fut encore de notre part l’objet des marques de sympathie les plus touchantes.