Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa cour, où il contre-balançait souvent avec succès l’influence du prince de Metternich. Si son nom est resté dans la pénombre, il n’en a pas moins été pour la politique prussienne un auxiliaire insinuant et utile. Mais à cette heurs les intérêts étaient trop graves pour les subordonner à des questions de personnes. Bien que le parti de l’intervention eût perdu beaucoup de terrain, il était encore sur la brèche, et il ne négligeait aucun effort pour empêcher l’empereur de lâcher la bride aux convoitises que révélaient les communications du roi Guillaume, sans obtenir de lui des compensations équivalentes sur le Rhin.

Les hommes d’état les plus dangereux dans la pratique des rapports internationaux sont ceux qui subordonnent les principes aux résultats. « M. de Bismarck était sans préjugés; comme Frédéric II, il s’en remettait aux événemens, à son intelligence et à la sottise humaine[1]. » — « Je n’ai jamais eu de plan arrêté d’avance, avait dit jadis ce grand politique, je me suis toujours réglé d’après la marche des événemens et la conduite de mes adversaires. » Lorsque M. de Bismarck reprit ses entretiens avec l’ambassadeur de France, son langage n’était plus le même. Loin de récriminer de nouveau contre une intervention que la veille il trouvait entachée de partialité, il faisait en termes convaincus et à brûle-pourpoint un appel à notre ambition. Ce n’était plus Richelieu, c’était Mazarin. Il reconnaissait que les instructions données à l’ambassadeur du roi au sujet des annexions n’avaient rien d’absolu, que l’objet principal en était de combiner un accord avec le gouvernement de l’empereur, qu’en un mot elles l’autorisaient à transiger en proportionnant les conditions au prix que réclamerait la France pour s’entendre avec la Prusse. Il maintenait toutefois ses premières demandes, car il ajoutait aussitôt qu’un accord n’était possible qu’autant qu’on agréerait à Paris certaines clauses dont le gouvernement du roi était résolu à ne pas se départir. Quelles étaient ces clauses? M. de Bismarck ne s’en expliquait pas. Elles pouvaient se rapporter au principe des annexions projetées dans le nord, voire à l’hégémonie de toute l’Allemagne, comme aussi à nos rectifications de frontières sur les bords du Rhin. M. Benedetti resta muet. Nous savons qu’il était sans instructions.

Dans une seconde entrevue, le président du conseil revint avec une nouvelle insistance sur l’intérêt qu’avaient les deux pays à se concerter et à s’unir. Il semblait attendre que notre ambassadeur voulût bien formuler ses demandes. M. Benedetti persista dans son silence.

Cette réserve n’impliquait-elle pas une arrière-pensée? M. de Bismarck

  1. A. Sorel, Histoire diplomatique de la guerre franco-allemande.