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mais ce n’était pas celui de l’ambassadeur français, qui trouvait que rien n’empêchait l’armée d’arrêter ses mouvemens en attendant les réponses de Paris.

Il était quatre heures du matin, et l’on se sépara sans rien conclure, peu satisfait l’un de l’autre, dans des dispositions qui ne semblaient pas rendre une entente facile.

M. de Bismarck était dérouté par une attitude en quelque sorte comminatoire, qui ne répondait guère au tableau que ses correspondans lui faisaient de la cour de Saint-Cloud. Tout l’avantage de cette première rencontre était resté à M. Benedetti. Il était sorti de l’entretien, convaincu qu’il suffirait d’être ferme et résolu pour donner à réfléchir à la cour de Prusse et l’amener à d’importantes et immédiates concessions. « Je ne crois pas devoir vous cacher, écrivait-il à M. Drouyn de Lhuys, en parlant de l’exaltation ambitieuse des généraux qui entouraient le roi, qu’à mon sens il est indispensable de tenir un langage plus ferme encore que celui que vous m’avez recommandé et que j’ai fait entendre dans la mesure que vous avez indiquée. » Mais, après avoir conféré avec le roi, il se voyait forcé de convenir qu’il était deux points sur lesquels la Prusse ne transigerait pas, à savoir la confédération du nord et une extension territoriale suffisante pour unir dans des conditions convenables les deux grandes fractions de la monarchie. Il disait que le roi insistait particulièrement sur la nécessité d’obtenir un agrandissement territorial, et qu’il y subordonnerait toutes ses résolutions, car il recevait à chaque instant, et de tous côtés, des adresses qui démontraient que l’opinion publique était unanime à cet égard.

Il était évident qu’on n’avait accepté notre médiation qu’avec l’arrière-pensée d’en limiter l’exercice. On comprenait qu’il était indispensable de nous ménager, et au fond l’on ne demandait pas mieux que de se concerter avec nous ; mais on ne se souciait pas de laisser à l’empereur l’entière liberté que comporte en principe toute médiation. On était décidé à ne pas arrêter le mouvement offensif de l’armée et à ne pas signer l’armistice tant que la confédération du nord et la contiguïté des territoires ne seraient pas garanties, soit par la signature des préliminaires de paix, soit par une déclaration positive de la France. « La parole de l’empereur nous suffit, » disait M. de Bismarck, et les négociations que le prince de Reuss poursuivait à Paris n’avaient pas d’autre objet que d’amener l’empereur à s’engager personnellement et à sortir de son rôle de médiateur.

Les prétentions que le cabinet de Berlin élevait à ce moment n’avaient rien d’exorbitant; elles étaient conformes au programme impérial du 11 juin. L’empereur n’avait-il pas reconnu spontanément,