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c’était la théorie de Frédéric II que la défaillance de l’Europe devait consacrer en 1871. Mais on n’était pas encore en mesure de la faire prévaloir, on se trouvait aux prises avec un médiateur qu’il eût été dangereux d’éconduire. « De deux choses l’une, disait M. Benedetti, ou vos exigences ne sont pas inconciliables avec les intérêts de l’équilibre européen que vous ne pouvez vous abstenir de respecter, — ou vous prétendez tirer des revers de l’Autriche des résultats inquiétans pour les autres puissances. Dans l’un et dans l’autre cas, l’empereur vous rend service en vous offrant ses bons offices, car vous ne pouvez continuer la guerre et élever si haut vos revendications sans contraindre les états dont la neutralité vous est indispensable à prendre les mesures préventives que réclame leur sécurité. C’est une éventualité, ajoutait-il en appuyant, sur laquelle je me permets d’appeler toute votre attention. » Ce n’étaient pas les seuls argumens que faisait valoir notre ambassadeur pour émouvoir le cabinet de Berlin. Il démontrait que si des conditions inacceptables devaient pousser l’empereur François-Joseph à se retirer sur Pesth et Presbourg, l’occupation de Vienne deviendrait pour la Prusse le plus grand, le plus périlleux des embarras. Obligée d’assurer ses communications avec Berlin, elle serait affaiblie sur le Danube, condamnée à l’immobilité, et ne pourrait songer à poursuivre les Autrichiens en Hongrie. Ses frontières restant ouvertes, toutes ses forces se trouveraient employées en Autriche et sur le Rhin.

C’était parler d’or et prêcher un converti. M. de Bismarck ne songeait pas, en face de notre intervention, à réduire l’Autriche aux résolutions que suscite le désespoir ; il ne se souciait pas de courir des aventures en Hongrie, et moins encore de se mesurer avec nous sur le Rhin. Il avait hâte, au contraire, de terminer la guerre et d’assurer dans les limites du possible les résultats de ses victoires. Mais il entrait dans sa tactique de nous impressionner, d’exploiter au profit de ses desseins l’ardeur belliqueuse de ses états-majors et les appétitions territoriales de son souverain. Le prince de Reuss venait d’arriver à Paris, et des rapports inquiétans partis du quartier général ne pouvaient que faciliter sa mission. N’était-il pas chargé officieusement de faire comprendre à l’empereur que le roi compromettrait sa popularité s’il n’assurait pas au pays et à l’armée, comme prix de leurs sacrifices, des agrandissemens de territoire? Aussi M. de Bismarck, avant de prendre aucune résolution, aurait-il voulu connaître l’accueil qui serait fait aux conditions de l’armistice, développées dans les dépêches qu’il avait adressées au comte de Goltz; il aurait voulu savoir quel effet produiraient les ouvertures que le prince de Reuss était chargé de faire à l’empereur de la part du roi. C’était l’avis du ministre prussien,