de l’appeler une école de bon sens, si on considère que le plus souvent elle n’a fait qu’appliquer avec une rigueur scientifique la méthode la plus usuelle; mais elle doit pourtant garder son nom d’école sceptique, puisqu’elle s’est toujours abstenue de conclure, qu’elle était fondée surtout pour combattre toutes les affirmations systématiques, et qu’elle s’est montrée l’ennemie de toute espèce de dogmatisme.
Il y avait alors en Grèce des écoles philosophiques qui prétendaient offrir une science certaine et qui, naturellement, par cette assurance infaillible provoquaient la contradiction. Le temps n’était plus où un Socrate, un Platon se contentaient de répandre avec une modeste grâce leurs grandes idées sur le monde et sur l’âme, tantôt affirmant, tantôt doutant, révérant trop la vérité pour oser assurer qu’ils la tenaient tout entière dans la main et se faisant comme scrupule d’ériger leurs vues en système. C’est nous aujourd’hui qui, avec beaucoup d’efforts, rapprochant, ajustant leurs idées éparses et souvent assez diverses, en composons un corps de doctrine qu’ils avaient eu garde de composer eux-mêmes. Mais après eux s’établirent des écoles, ou plutôt des sectes comme de petites églises qui, pour employer leur propre langage, firent de leurs opinions des dogmes, des décrets, des oracles, et enseignèrent selon un formulaire où étaient résolus intrépidement tous les problèmes sur la nature et sur l’homme. Tels étaient l’épicurisme et le stoïcisme, qui, bien qu’ennemis et fondés sur les principes les plus contraires, étaient également sûrs chacun de posséder toute la vérité. Les épicuriens ne doutaient de rien et, pour avoir appris par cœur les manuels de leur maître, savaient dans le dernier détail comment le monde s’était formé, quelle est la nature de l’âme. Quand ils parlaient de l’univers, ils avaient l’air, dit avec esprit Cicéron, de revenir à l’heure même de l’assemblée des dieux. D’autre part, les stoïciens, quoique professant une doctrine plus haute, pouvaient irriter davantage, parce qu’ils enfermaient leurs nobles idées en des formules paradoxales, qui semblaient avoir été inventées tout exprès pour impatienter ou renverser les esprits. Leur assurance hautaine, leur principe que le sage n’ignore rien, le titre qu’ils prenaient d’avocats de l’évidence, tout cela était comme un défi ; leur fanatisme triste choquait d’autant plus qu’il recourait, pour attaquer ou se défendre, à des argumens pointilleux et mesquins suivis de conclusions forcées, qu’ainsi leur gravité paraissait frivole et faisait dire plus tard même à un des leurs, à Sénèque : « C’est bien la peine de lever le sourcil, d’étaler aux yeux la pâleur de la vertu pour proclamer de pareilles inepties. » Carnéade laissa les épicuriens tranquilles parce qu’ils étaient tranquilles