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points à la fois, mais partout la police en eut raison, sans même attendre l’arrivée des troupes régulières. Ce n’était pas au fond de méchantes gens que ces rebelles sortis la veille de leur village pour prendre part à la plus ridicule échauffourée. La petite ville de Kilmallock, dans le comté de Limerick, fut en leur pouvoir une journée entière ; il y existait deux banques dont les caisses étaient bien garnies ; on ne leur déroba pas une pièce de monnaie. Bref, ils n’entendaient rien à la profession d’émeutiers. Quelques jours après tout était rentré dans l’ordre. Quelques misérables avaient péri ; quelques centaines restaient entre les mains de l’autorité régulière. Ils passèrent devant le jury, qui ne fut pas trop sévère. La plupart en furent quittes pour quelques années de détention, et encore la reine les gracia presque tous avant l’expiration de leur peine.

Ce mouvement de 1867 est la dernière des tentatives à mettre au compte du fenianisme. Depuis, il n’y a plus eu que des attaques isolées contre des transfuges que les conspirateurs voulaient punir ou contre des ennemis dont ils voulaient se débarrasser. On prétend que l’association existe encore, mais que, instruite par ses malheurs, elle a compris la nécessité du secret. Elle ne jette plus ses projets aux quatre vents de la publicité ; sans doute elle est plus restreinte. Soyons juste : elle ne rencontre plus les mêmes sympathies dans les basses classes de la population irlandaise qui ont compris enfin que les revendications brutales se briseraient toujours devant l’attitude résolue du gouvernement britannique. Le fenianisme a toutefois été un fléau pour l’Irlande, parce qu’il a enrayé les efforts des nationalistes modérés, et aussi parce qu’il a suscité chez les Anglais une haine difficile à éteindre contre tout ce que veut, dit ou pense la race celtique. On en vit bien la preuve à la suite de ces tristes événemens. À Manchester, la population réussit un jour à délivrer un fenian que l’on menait en prison ; un agent de police fut tué par accident dans la bagarre ; trois individus, arrêtés sur le fait, furent condamnés à mort par un jury anglais et exécutés sans pitié, bien que leur culpabilité fût assez douteuse. Ils payèrent de leur vie les menaces de pillage et d’incendie que leurs complices avaient proférées l’année d’auparavant.


III.

À qui apprendra-t-on qu’un gouvernement inique travaille au profit des démagogues, et les sociétés secrètes au profit du despotisme ? Ballottée entre le despotisme et la démagogie, l’Irlande a connu bien des mauvais jours depuis la conquête saxonne ; elle