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que corroborer ces craintes. De nouvelles arrestations avaient eu lieu ; des bâtimens à vapeur croisaient autour de l’île pour arrêter les navires suspects ; la police surveillait tous les voyageurs débarqués d’Amérique. L’année s’acheva sans troubles, et pourtant tout n’était pas fini.

Réunis à Paris d’abord, à Londres ensuite, en un comité dont Cluseret faisait partie, les hommes qui avaient pris la direction du mouvement en Europe se croyaient certains d’avoir des soldats dès qu’ils auraient des armes. Une occasion se présentait d’en conquérir par un coup de main hardi. Ils apprirent qu’un important dépôt de fusils existait au château de Chester sous la garde d’une garnison peu nombreuse. Le mot d’ordre fut donné aux milliers de fenians que contenaient les villes manufacturières du nord, Manchester, Sheffield, Leeds, de se réunir à Chester le 11 février. Quelques-uns des plus braves devaient entrer en curieux dans le château, désarmer le poste et ouvrir les portes à la foule. Piller l’arsenal, réquisitionner une locomotive et partir au plus vite pour Holyhead, s’y emparer d’un ou deux bateaux à vapeur et débarquer à l’improviste sur les quais de Dublin où l’on serait accueilli comme des libérateurs, tel était le plan des conjurés. En même temps d’autres détachemens seraient arrivés à Londres et dans d’autres grands centres où l’on aurait soulevé la foule en lui promettant le pillage, en sorte que l’Angleterre menacée chez elle n’aurait pas eu de troupes à diriger sur l’Irlande. Ce projet était bien fantastique. Il échoua dès le début, parce que l’un des complices en avait vendu le secret. Rien n’eût été plus facile que de saisir dès lors les chefs ; le gouvernement crut mieux faire de les laisser en liberté, par la raison que le nombre des complices était immense et que l’on ne pouvait leur inspirer une crainte salutaire qu’en les culbutant en plein jour, à la première apparence d’émeute. En effet, malgré l’échec de cette tentative, le comité occulte des fenians décréta un soulèvement général. Cluseret, qui était toujours le général en chef, avait étudié le terrain avec le talent d’un vrai militaire ; les points stratégiques dont il fallait s’emparer tout d’abord étaient désignés, les volontaires étaient convoqués. Au dernier moment il apprit que l’association ne disposait que de deux à trois mille piques pour armer les paysans ; il s’aperçut que les chefs s’étaient tous enivrés à la veille du grand jour. Désespérant de réussir avec de tels soldats et de tels officiers, il repartit à l’improviste pour la France, laissant le commandement au brigadier-général Massey, autre aventurier dont la grande guerre de la sécession américaine avait fait la fortune.

Au jour dit, le 5 mars 1867, l’insurrection éclata sur plusieurs