l’armée française, brave sans contredit et même bon officier, mais d’opinions exaltées et de conduite peu régulière, dit-on, qui, colonel en Sicile avec Garibaldi, général en Amérique avec Frémont, végétait, la guerre de sécession terminée, à la recherche de nouvelles aventures. Dès les premières entrevues, Cluseret se laissa séduire par le merveilleux talent d’organisation que Stephens savait déployer ; mais, avec l’expérience militaire incontestable qu’il possédait, il jugea que des hommes et de l’argent ne suffisent pas. Tout bien considéré, il se rendit compte que l’Angleterre n’aurait jamais plus de 30,000 soldats en Irlande, que 10,000 insurgés bien pourvus, soutenus par les sympathies de la population rurale, suffiraient pour écraser l’armée anglaise. Ces 10,000 combattans, la Fraternité féniane était-elle capable de les mettre en ligne, avec armes et bagages ? Tout était là. Cluseret voulait bien accepter le titre de général en chef ; il refusait d’entrer en campagne avant d’avoir vérifié lui-même quelles étaient les ressources de l’insurrection et celles du gouvernement britannique. Il repartit donc pour l’Europe afin de s’en assurer. On verra plus loin ce qu’il y fit. Ce délai rentrait du reste dans les plans de Stephens, qui ne demandait qu’à temporiser. Mais ceux que l’on appelait les hommes d’action ne s’en montrèrent pas satisfaits. Nul symptôme de soulèvement n’apparaissait quoique la fin de l’année fût proche. Le grand organisateur du fenianisme continuait de vivre aux dépens de ses associés, qui de jour en jour se défiaient de lui davantage. On était fatigué de ses promesses, de ses dédains, de ses ajournemens. Aux paroles succédèrent les menaces ; enfin une réunion des principaux conjurés déclara que c’était un traître, un imposteur, un fripon, et proclama sa déchéance. Depuis cette époque (décembre 1866), ce conspirateur émérite, qui avait été pendant quelque temps l’effroi du gouvernement britannique, a vécu ou est mort oublié. Il n’a plus été question de lui.
Cependant ses projets ne s’étaient pas évanouis en même temps que lui. Bien que ses complices d’Amérique ne songeassent plus au Canada, ceux d’Europe rêvaient toujours d’affranchir l’Irlande ; il leur manquait des armes et de l’argent ; ce qui est pis, la police avait si bien pénétré leurs desseins qu’ils ne pouvaient plus commencer rien de sérieux. Sans compter les traîtres que renfermeront toujours les sociétés secrètes, les comités de New-York avaient proclamé si haut leurs projets que tout le monde en Irlande en avait entendu parler. Les gens paisibles s’en étaient fort alarmés, au point que personne ne doutait que l’insurrection n’éclatât dans les quatre provinces à l’automne de 1866. Les précautions que le gouvernement avait prises, précautions bien légitimes, n’avaient fait