disait le nouvel académicien, est si mêlée d’erreurs, si obscurcie, si incertaine qu’on n’est jamais sûr de l’avoir saisie, de la posséder, que par conséquent il faut examiner les choses, suspendre son jugement et, à défaut de la vérité qui se dérobe, s’attacher au vraisemblable. Les choses, selon Carnéade, sont relativement à nous, non pas vraies, mais plus ou moins probables. Il est l’auteur de la doctrine qu’on appelle le probabilisme, doctrine qu’il a établie et défendue avec une dialectique souvent captieuse, mais qui, au fond, n’est pas déraisonnable, bien qu’on l’ait jugée telle. Nous sommes tous probabilistes, vous et moi, savans et ignorans, nous le sommes en tout, excepté en mathématiques et en matière de foi. Dans les autres sciences et dans la vie, nous nous conduisons en disciples inconsciens de Carnéade. En physique, nous accumulons des observations et, quand elles nous paraissent concordantes, nous les érigeons en loi vraisemblable, loi qui dure, qui reste admise jusqu’à ce que d’autres observations ou des faits autrement expliqués nous obligent à proclamer une autre loi plus vraisemblable encore. Toutes les vérités fournies par l’induction ne sont que des probabilités, puisque les progrès de la science les menacent sans cesse ou les renversent. Dans les assemblées politiques où se plaident le pour et le contre sur une question, on pèse les avantages et les inconvéniens d’une proposition législative, et, si la passion ne vient pas troubler la délibération, le vote est le résultat définitif des vraisemblances que les orateurs ont fait valoir. Le vote n’est qu’une manière convenue de chiffrer le probable. De même chacun de nous, quand il faut prendre un parti, examine les raisons qu’il a d’agir ou de s’abstenir, les met comme sur une balance et incline sa décision du côté où le plateau est le plus chargé de vraisemblances. La méthode de Carnéade, comme du reste toutes les méthodes, ne fait donc qu’ériger en règles plus ou moins judicieuses ce qui se fait tous les jours dans la pratique de la vie. S’il y a eu des déductions avant Aristote, des inductions avant Bacon, on fit aussi du probabilisme avant la nouvelle académie. L’école de Carnéade, peu inventive et peu propre à rechercher et à fixer la vérité, à laquelle elle ne croyait pas ou qu’elle jugeait hors de prise, était fort capable, par sa méthode, par ses délicates pesées, de reconnaître les erreurs d’autrui. Si cette école sceptique n’avait pas abusé du sophisme, si elle ne s’était pas plu à le manier comme on joue d’un instrument, elle mériterait d’être appelée une école critique, ou encore une école de libre examen ; car le mot latin examen, devenu français, désigne précisément la tige mobile de la balance, qui sert à marquer l’écart entre la hauteur des deux plateaux; on pourrait même, à certains égards, lui faire l’honneur
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