on apprit bientôt que les craintes des modérés n’avaient pas de raison d’être. Stephens était trop timoré pour fomenter une insurrection avec des conspirateurs qui n’étaient ni armés ni organisés.
Le cercueil de Mac Manus arrivait de San-Francisco à New-York le 13 septembre en grand apparat. Trois jours après, l’archevêque catholique célébrait lui-même un service funèbre dans sa cathédrale et, qui plus est, prononçait à cette occasion un discours dont on peut dire que le seul but était de montrer comment la rébellion se justifie parfois aux yeux de l’église. Que si l’on s’en étonne, il convient de rappeler que le chef des conjurés en Amérique, O’Mahony, était un catholique dévoué ; que, à l’inverse de Stephens proscrit et libre penseur, il s’était efforcé de longue main d’obtenir l’appui du clergé et que, n’étant pas soumis aux lois et aux tribunaux de la Grande-Bretagne, il n’avait pas eu besoin de recourir à des procédés occultes comme son associé. Quelques prêtres américains s’étaient affiliés à l’association feniane ; les dignitaires du clergé ne désespéraient pas d’en prendre la direction. Il ne leur fallut pas longtemps pour se désabuser.
Lorsque le cortège débarqua à Cork aux derniers jours d’octobre, l’accueil fut tout autre. Comme l’évêque refusait de l’admettre dans sa cathédrale, on dut déposer le corps dans la chapelle d’un hôpital qui dépendait d’un diocèse voisin. Les patriotes arrivaient en foule ; des adresses étaient envoyées de toutes parts. À Dublin, ce fut mieux encore. Le cardinal Cullen n’avait consenti à prêter aucune de ses églises pour la cérémonie. Néanmoins une immense procession parcourut toute la ville avant de se rendre au cimetière de Glasnevin. On vit même des soldats en uniforme se mêler à la foule. La marche était réglée de façon à traverser les rues où les souvenirs de révolte étaient pour ainsi dire encore vivans. On s’arrêta sur la place où Robert Emmet avait été exécuté, devant la maison où le cadavre de Wolfe Tone avait été déposé. En face du palais du vice-roi, il y eut aussi une pause ; la circonstance était critique. Sur un signe peut-être cette masse d’hommes surexcités par l’impression du moment eût été prête à faire acte de violence ; mais le signe ne vint pas. Il importait aux chefs du mouvement de ne pas terminer par une lutte dont l’issue n’était pas douteuse cette démonstration pacifique qui témoignait de leur puissance.
L’archevêque de Dublin avait été bien inspiré de ne pas se compromettre dans une telle bagarre, si calme qu’elle fût en apparence. De son côté, Stephens avait lieu d’être content. Le clergé qu’il voulait combattre se voyait amoindri pour avoir refusé de prendre part à une manifestation nationale ; Smith O’Brien et ses amis étaient relégués au second plan ; les adhésions arrivaient de tous