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demi-voix qu’ils agissaient d’accord avec MM. O’Brien, John Mitchell et d’autres encore de même opinion. Le bruit s’en répandit au dehors. Le docteur Moriarty, évêque catholique de Kerry, fut l’un des premiers à s’en émouvoir ; quelque bon patriote qu’il fût, toute apparence d’association occulte lui était antipathique. Le gouvernement était au reste assez bien renseigné pour arrêter court toute tentative de révolte. Ceux qui s’affiliaient au Phénix s’exposaient donc au désastre le plus certain. Les nationaux, dont on usurpait le nom, se crurent tenus d’honneur à désavouer ces agitateurs, ce qu’ils firent en se déclarant hautement hostiles aux sociétés secrètes. Le mouvement n’eut pas de suite, car le vice-roi fit arrêter peu de temps après et traduire en justice les plus compromis. C’était la première manifestation du fenianisme. De l’attitude prise dès ce début par les amis d’O’Brien, Stephens pouvait conclure qu’aucun appui ne lui viendrait de ce côté, pas plus que du clergé catholique. Peut-être le désirait-il lui-même.

Les événemens d’Europe introduisirent un nouveau ferment en Irlande. Les idées religieuses y ont tant de puissance, la dévotion au pape, le respect des traditions ultramontaines y sont si enracinés que les Irlandais s’inquiétèrent en apprenant que la guerre éclatait entre l’Autriche et l’Italie soutenue par la France. Ils aimaient notre pays, ils souhaitaient que nous fussions victorieux, mais ils redoutaient les conséquences d’une guerre dont le pouvoir temporel du saint-siège était l’enjeu évident. Cependant la bataille gagnée à Magenta par un général qu’ils réclamaient avec fierté comme un compatriote était presque un triomphe pour eux, et ils s’en réjouirent. L’année d’après la situation s’accusait plus nettement. L’Angleterre envoyait des adresses, des hommes et de l’argent à Garibaldi, l’Irlande organisait une brigade de soldats pontificaux. Battus à Pérouse, à Spolète, à Castelfidardo avec le général de Lamoricière, ceux-ci furent bientôt prisonniers de Victor-Emmanuel. Rendus à la liberté, ils revinrent au pays pour y recevoir un accueil enthousiaste, tandis que la presse anglaise les traitait de lâches et de mercenaires. Les Celtes ont un caractère chevaleresque. Quelques articles de journaux les blessèrent plus que des griefs réels. L’animosité qu’ils éprouvaient contre la domination anglaise s’en accrut au moment même où le gouvernement anglais avait le plus besoin de ne pas surexciter la fibre patriotique de ses sujets désaffectionnés.

Que lisait-on en effet vers cette époque dans les principaux organes de la presse britannique ? Des excitations à la révolte adressées presque chaque jour aux habitans de Rome, de Venise, de la Sicile. Les fenians, s’ils avaient osé parler haut, n’auraient pas été plus