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Les deux contes que l’on vient de lire sont indubitablement identiques. Peut-on croire que l’idée originale de prendre la bosse ou la loupe d’un homme pour l’appliquer à un autre en punition de son envie soit venue à deux conteurs différens, séparément? N’est-il pas plus probable que l’une de ces histoires a été empruntée à l’autre? Mais dans ce cas à quel âge du monde faut-il faire remonter cet emprunt? Car à aucune époque historique on n’aperçoit une communication probable entre les deux pays.

Le rapport n’est guère moins remarquable entre le récit japonais qui va suivre et celui qu’on trouve dans les contes des frères Grimm, sous ce titre : « le Pêcheur et sa femme, » et dont la morale est qu’il faut savoir se contenter de son sort. Il y avait une fois un couple de souris qui eut une fille. Jamais on n’avait vu de parens si fiers de leur enfant, et quand vint l’âge de lui choisir un mari, nul ne leur paraissait digne de devenir leur gendre. Une souris, leur voisine, leur dit : Mariez-la au soleil; il n’y a rien au monde de si puissant, et vous serez sans égaux. Le soleil se montra obligé des ouvertures qu’on lui fit, mais fut forcé de convenir que ses rayons rencontraient parfois un obstacle plus puissant que lui, les nuages du ciel, et qu’il fallait donner la jeune personne à un nuage. Le nuage déclina l’honneur qu’on voulait lui faire en confessant que le vent le chassait et le dispersait à son gré. « Oui, dit à son tour le vent, je disperse le nuage; mais je ne puis vaincre la résistance du mur quand je le rencontre sur mon chemin. » On alla donc proposer au mur de devenir gendre de ces fiers époux. Le mur dut cependant reconnaître que, s’il contenait les efforts du vent, il ne pouvait lutter contre ceux de la souris qui, de ses ongles menus, le perçait de part en part. Il fut donc décidé que les souris étant plus puissantes que le mur, le vent, le nuage et le soleil, on choisirait un gendre parmi les souris. — Dans le conte des frères Grimm, il s’agit d’un pêcheur dont la femme réussit à lasser, par ses exigences, la générosité d’une divinité déguisée en poisson, qui la comble, ainsi que son mari, d’honneurs et de bienfaits sans parvenir à contenter son insatiable ambition.

Enfin c’est dans un de nos écrivains que nous prendrons, sous sa forme la plus moderne et la plus amusante, un conte d’origine aryenne, évidemment identique cette fois à celui du narrateur japonais. Ecoutons d’abord la version asiatique : « Kisaburo était un homme d’esprit économe, qui abandonna son ancienne habitation pour prendre logement à côté d’un marchand d’anguilles. L’odeur appétissante des anguilles, frites dans le soyu, se répandait dans la salle à manger de Kisaburo, qui mangeait son bol de riz assaisonné de cette délicieuse odeur, sans se mettre en peine d’y ajouter les condimens