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à ses instincts, dont les sentimens chevaleresques ont été gênés dans leur essor par la solennité de rites exotiques, dont le tour d’esprit ingénieux et compréhensif a été emprisonné dans les formules algébriques d’une langue rebelle. Sa sève s’est trouvée constamment refoulée par une culture à contre-sens, comme celle de ces cerisiers nains qu’on voit dans les palais des daïmios, bizarrement torturés par un jardinier entêté; ses poètes ont de tout temps traîné péniblement le pas dans les mètres chinois, comme aujourd’hui ses soldats s’écorchent les pieds dans nos brodequins serrés. Parfois cependant un sentiment vrai se dégage de cette logomachie embarrassée; l’esprit donne son coup d’aile, le cœur trouve son accent. Où rencontrer une mélancolie plus douce et plus profonde que dans ces versets extraits du Hyaku-ninshiu :


« Bien que, depuis mon départ, mon palais soit inhabité, n’oubliez pas, fleurs de prunier, de vous épanouir au bord de sa toiture. »

« Dans ce monde il n’y a pas de voie. Je songe à me retirer dans la profondeur des montagnes; mais là encore, le cerf pleure! »


Millevoye ou Lamartine n’eussent-il pas signé cette plainte du malade condamné à mourir jeune :


« Ma vie, semblable aux feuilles desséchées que l’hiver n’a pas encore fait tomber des arbres de la campagne, s’en ira au moindre vent. »

Et moi je suis semblable à la feuille flétrie.
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons,


a dit presque dans les mêmes termes l’auteur des Méditations.

Une histoire sans philosophie, une poésie sans souffle, une théologie obscure et mystique, des traités de morale sans élévation et fondés sur une étude incomplète de la nature humaine ; un pédantisme froid, des vues bornées, des systèmes d’école, des conceptions artificielles, un verbiage scolastique, des niaiseries solennelles et d’incessantes redites, voilà ce qu’offre la haute littérature, celle qui, venue de la Chine, s’est toujours inspirée de ses origines. Ce tableau rappelle par ses traits généraux celui de notre moyen âge européen du Ve au XIVe siècle ; la raison semble frappée de timidité et l’imagination d’une sorte de stérilité prolixe. Les écrivains n’ont à leur service ni la haute inspiration qui permet d’embrasser d’un seul regard tout l’ensemble d’un sujet, ni la langue docile et l’observation méthodique qui permettent d’en fouiller toutes les parties. Faute de ces instrumens puissans que les fondateurs de la raison moderne ont mis entre nos mains, ils tâtonnent, ils hésitent, abordent maladroitement les œuvres qu’ils entreprennent, et s’y