qu’ailleurs aussi s’accomplit l’anathème de l’Écriture contre tout royaume divisé. Soliman put assiéger Vienne et prendre Bude ; par deux fois l’empereur d’Autriche dut lui céder presque toute la Hongrie ; par deux fois il dut s’engager à lui payer une « pension, » un tribut annuel de 30,000 ducats. Rien n’égale le mépris qu’on professait alors sur le Bosphore pour l’ancien empire des Hohenstaufen. « Le Grand Seigneur, écrivait dès 1553 le baile Novagero, fait peu de cas de l’Allemagne ; les Turcs disent que les Tudesques ne sont bons à rien et qu’ils ont toujours été battus par eux. » — « L’empereur, écrit vingt-trois ans plus tard un autre baile (Soranzo), baisse chaque jour dans l’estime de la Porte, car on connaît ici la faiblesse de son armée, la pauvreté de son trésor et la désunion des princes allemands. »
Il y eut pourtant, dans ce XVIe siècle, une grande puissance chrétienne qui, pendant longtemps, maintint haut et ferme le drapeau de sa foi, qui pendant longtemps ne connut avec l’infidèle ni trêve, ni accommodement, et qui même un jour lui porta un coup dont les suites eussent pu être mortelles. La croisade, qui partout ailleurs n’était plus alors qu’un souvenir des âges passés et un vague symbole, avait en Espagne sa tradition toujours vivace et, pour ainsi dire, sa présence réelle ; cette lutte contre le mécréant que les anciens chevaliers étaient allés chercher au-delà des mers, la patrie du Cid et d’Isabelle la Catholique la portait dans ses flancs mêmes. Quarante ans après l’entrée de Mahmoud à Constantinople, un royaume maure subsistait encore au pied des Alpuxarras. Aussi la prise de Grenade en 1492 fut-elle le premier retour offensif de la croix contre le croissant victorieux ; le cardinal Ximenes, poursuivant la lutte au-delà du détroit, conquit sur le Coran toute la côte septentrionale de l’Afrique, d’Oran jusqu’à Tripoli ; et dès lors une rencontre décisive dans la Méditerranée entre les deux principales puissances catholique et musulmane fut tôt ou tard inévitable. Que le padichah s’acharnât surtout contre la maison d’Autriche, qui était alors une maison espagnole, qu’il fût l’allié manifeste de la France, la grande rivale de cette maison en Europe, et l’allié recherché de l’Angleterre, la grande hérétique, c’étaient là des stimulans de plus pour Philippe II de travailler à sa ruine, et il devint l’âme de la sainte ligue (1571), le seul effort commun tenté depuis la chute de Constantinople pour venger la civilisation outragée. La ligue, à la vérité, ne comprenait que deux puissances : à la flotte de Philippe vint se joindre celle de la république de Saint-Marc, alors menacée dans la possession de sa précieuse île de Chypre ; le pape y ajouta douze galères. Si restreinte que fût cette ligue, elle n’en prouva pas moins ce que pouvait contre le Turc une action combinée et