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politiques, dont il lui représentait la conformité ; Elisabeth, dans ses rapports avec Murad III, insinuait une communauté d’intérêts religieux ; elle s’intitulait dans ses lettres au sultan : verœ fidei contra idolatros propugnatrix, et les idolâtres c’étaient bien les catholiques. Dans un Mémoire adressé en 1587 par Harebone au padichah afin de l’engager dans une action contre l’Espagne, on lit entre autres choses : «Ne laisse point échapper ce moment, de peur que Dieu, qui t’a fait le plus valeureux et le plus puissant des princes pour l’extermination des idolâtres, ne lève contre toi son courroux flamboyant, si tu méprises son commandement que ma souveraine, une faible femme pourtant, s’efforce d’accomplir avec courage. Si Ta Hautesse voulait déclarer sans délai la guerre, de concert avec ma souveraine, l’orgueilleux Espagnol et le pape imposteur n’échapperaient pas à la peine de leur témérité, car Dieu, qui ne protège que les siens, ne manquerait pas de punir ces idolâtres assez sévèrement pour que ceux qui en pourraient encore survivre fussent convertis par leur exemple, et adorassent le vrai Dieu en union avec nous. » On le voit, l’Angleterre était déjà au XVIe siècle « la grande puissance mahométane » du comte Beaconsfield, bien qu’alors elle ne possédât pas encore l’Inde et ne comptât pas un seul serviteur du Coran parmi ses fiers sujets. « Il ne manque, — ne put s’empêcher de remarquer à l’occasion le grand-vizir Sinan-Pacha devant l’ambassadeur d’Autriche, — il ne manque aux Anglais, pour devenir de bons moslims, que de lever les doigts et de prononcer l’eched[1]... »

L’islamisme arabe, lors de son irruption au VIIIe siècle, a trouvé l’Europe encore unie dans sa foi, soumise à un seul chef spirituel; l’islamisme ottoman, au XVe, la connut déjà partagée entre les deux églises d’Orient et d’Occident, et ce schisme ne lui a pas peu facilité, comme l’on sait, la conquête de Byzance. Au siècle suivant, le déchirement devint plus intense encore ; il éclata au sein même de l’église d’Occident et fut de nouveau la cause principale des progrès rapides et effrayans des armes musulmanes au cœur de la chrétienté. Cela se vit surtout en Allemagne, dans le grand pays précisément qui avait donné le signal de la réforme. Nulle part pourtant le nom musulman ne fut plus haï et exécré : catholiques ou protestans, tous y sentaient au même degré l’horreur de « l’opprobre turc, » et Luther ne le cédait en rien aux souverains pontifes dans ses appels enflammés à la croisade contre l’infidèle[2] ; mais ici plus

  1. Eched, formule de foi musulmane. — Hammer-Purgstall, Geschichte der Osmanen, IV, p. 208 (d’après les rapports de l’ambassadeur autrichien). — Pour le Mémoire d’Harebone au sultan, ibidem, p. 622.
  2. Voyez surtout l’écrit intitulé : Vom Krieg wider den Türken. Œuvres de Luther, t. IV, éd. d’Altenbourg.