Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très nette entre les progrès des lumières et les progrès de la vertu, distinction qui a plus ou moins échappé, même de nos jours, à la plupart de ceux qui ont disserté sur le progrès moral.

Grâce à l’abbé de Saint-Pierre, la transition sera un peu moins brusque de Leibniz à Mercier, l’auteur de l’An deux mille quatre cent quarante. Mercier, comme l’abbé de Saint-Pierre, a ses projets de réforme académique dans lesquels il s’est surtout inspiré de la Nouvelle Atlantide. Dans son ouvrage, il y a deux chapitres curieux, l’un sur l’Académie française, l’autre sur le cabinet du roi, où l’on trouve plus d’une réminiscence de l’Institut de Salomon. L’Académie française telle qu’elle sera, d’après Mercier, dans l’avenir, c’est-à-dire en 2440, n’habitera plus le palais des rois, mais la colline qui domine Paris. Montmartre est tout d’abord métamorphosé par Mercier en une sorte de nouveau Parnasse. « Ce lieu auguste, dit-il, ombragé de toutes parts de bois vénérables, était consacré à la solitude. Une loi expresse défendait qu’on frappât l’air aux environs d’aucun bruit discordant. Les carrières de plâtre étaient taries. La terre avait enfanté de nouveaux lits de pierre pour servir de fondement à cet auguste asile. » Il y a aussi sur la colline de jolis ermitages séparés par des bosquets qui offrent d’agréables lieux de retraite et de méditation aux académiciens.

Non loin de ce séjour enchanté, il aperçoit un vaste temple qui le remplit d’admiration et de respect. Sur le frontispice, on lisait cette inscription : « Abrégé de l’univers. » Dans ce temple, palais animé de la nature, étaient renfermées toutes les productions qu’elle enfante avec profusion, mais avec l’ordre le plus savant et le plus méthodique. Il se composait de quatre ailes d’une étendue immense, au centre desquelles s’élevait un dôme, le plus vaste qui eût jamais frappé ses regards. Toutes les sortes d’animaux, de végétaux, de minéraux, étaient rangées le long de ces quatre ailes de telle sorte qu’on pouvait les apercevoir d’un seul coup d’œil. Dans la première, on voyait tous les végétaux, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope ; dans la seconde, tous les animaux terrestres, depuis l’éléphant jusqu’au ciron; dans la troisième, tous les animaux ailés, depuis l’aigle jusqu’à la mouche; dans la quatrième, tous les poissons, depuis la baleine jusqu’au goujon. Au milieu du dôme étaient les jeux de la nature, les monstres de toute espèce, les productions bizarres. Sur les côtés étaient disposés de grands morceaux de roche arrachés aux mines et représentant, pour ainsi dire, les produits des laboratoires de la nature. En outre on avait observé, dans l’arrangement des animaux et des plantes, les gradations suivies par la nature elle-même, de telle sorte que l’œil embrassait sans effort toute la marche des êtres. « L’échelle des êtres, dit Mercier, recevait ainsi la marque de l’évidence. On voyait distinctement