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nous sommes aujourd’hui en un temps où l’avantage des sciences est plus généralement compris et où les états sont assez riches, même après de grandes guerres, pour assurer, s’ils le veulent bien, une dotation convenable aux lettres et aux sciences, sans transformer les académies en une agence fiscale ou un bureau de placement.


III.

Après les grands noms que nous venons de citer, il convient de parler encore de quelques plans ou projets de réformes académiques dont les auteurs n’ont pas la même autorité dans la philosophie et dans les lettres. Laissons de côté l’abbé Raguet, mais disons quelques mots de l’abbé de Saint-Pierre. Ce hardi et doux réformateur, qui a voulu réformer tant de choses, non pas toujours assurément sans raison, ni sans quelque juste pressentiment de ce que l’avenir devait réaliser, ne pouvait pas dans ses projets de réforme oublier les académies. A la différence de Bacon et même de Leibniz, il se préoccupe bien moins de l’avancement des sciences physiques que du perfectionnement de la politique et de la morale, qu’il ne sépare pas l’une de l’autre; il a beaucoup moins en vue les services qu’on peut en attendre au point de vue de l’utilité matérielle et pratique qu’au point de vue de l’utilité morale. Le plan de réforme académique qu’il propose est intitulé : « Projet pour rendre l’académie des bons écrivains plus utile à l’état[1]. » Rien pour atteindre ce but ne lui paraît de plus grande importance et de plus d’efficacité que les vies des grands hommes proposées par de bons écrivains comme des modèles à tous les citoyens. Écrire ces vies de manière à produire une impression salutaire sur les esprits, voilà quelle doit être, selon l’abbé de Saint-Pierre, la principale occupation de l’académie politique. Tel est le nom qu’il donne à son académie idéale, composée de toutes les académies de Paris. Le général Cavaignac entrait, sans le savoir, dans les vues de l’abbé de Saint-Pierre, lorsqu’en 1848 il demandait à l’Académie des sciences morales et politiques de petits traités pour éclairer et améliorer le peuple. A M. Mignet revient l’honneur d’avoir réalisé l’idéal de l’abbé de Saint-Pierre dans sa vie de Franklin. C’est à l’académie politique qu’appartient aussi la direction des théâtres pour les faire servir à l’augmentation du bonheur des citoyens. Voilà en gros ce qui, dans les idées de l’abbé de Saint-Pierre, peut avoir quelque rapport avec le sujet qui nous occupe. Ajoutons cependant, à l’honneur de ce penseur trop décrié, que ce même opuscule contient une distinction

  1. Voir ce projet dans le 4e volume de ses Œuvres, 17 vol. in-12, Rotterdam, 1733.