même à la lettre, et la prophétie tout entière, à ne considérer que son esprit, s’accomplit chaque jour autour de nous[1].
La formation de grandes académies dans toute l’Europe, voilà l’une de ces portions de la prophétie de Bacon qui, comme le dit Macaulay, sont en voie d’accomplissement ou même accomplies. Par ses éloquentes exhortations à tous les savans du monde pour s’unir entre eux, pour associer leurs travaux, Bacon est le véritable père et le précurseur des académies modernes. Non-seulement ces grandes académies sont animées de l’esprit du De dignitate et augmentis scientiarum ou du Novum Organum, mais leurs fondateurs se sont directement inspirés en plus d’un point du beau roman philosophique de la Nouvelle Atlantide. Nous en verrons les traces manifestes dans leurs projets, dans les plans qu’ils ont entrepris de réaliser, avec le concours de princes plus ou moins amis des sciences et des lettres.
Ne sortons pas encore de la patrie de Bacon et parlons d’abord de la Société royale de Londres. Quoique constituée seulement quarante ans après la mort de Bacon, plus qu’aucune autre académie, elle s’est montrée dès l’origine animée de son esprit et inspirée de ses grandes vues sur l’interprétation de la nature. Dans sa belle ode à la Société royale de Londres, Cowley fait planer sur elle le grand génie qui a, dit-il, émancipé la philosophie opprimée et qu’il compare à Moïse découvrant au loin la terre promise où il conduit les Hébreux à la sortie d’Egypte. L’historien des premières années de cette célèbre Société, l’évêque Sprat, dit, au commencement de son histoire, que la meilleure de toutes les préfaces serait un ouvrage de Bacon. La description des expériences qu’elle a déjà faites, celles qu’elle se propose de faire, voilà ce qui tient la plus grande place dans l’ouvrage de Sprat; il y joint la réfutation détaillée des objections, de la part d’anglicans dévots et de théologiens scrupuleux, contre les inconvéniens moraux ou religieux des expériences. Le nombre, la puérilité, la gravité niaise, de ces objections sont pour nous un sujet d’étonnement ; mais le soin même que prend l’historien de les réfuter et de justifier la Société prouve qu’elles avaient alors, comme au temps de Bacon, quelque crédit et quelque danger.
Depuis son origine jusqu’à nos jours, la Société royale de Londres n’en a pas moins persévéré dans le même esprit et la même voie, augmentant sans cesse ses ressources et consacrant des sommes de plus en plus grandes aux expériences, grâce aux cotisations
- ↑ Essais politiques et philosophiques, trad. de M. Guillaume Guizot.