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Rawley, voulait y faire entrer un livre De legibus ou De bono reipublicœ statu. Il est fâcheux qu’il ne l’ait pas composé ; nous y trouverions sans doute quelques vues dignes de son grand esprit, de sa connaissance du cœur humain, des lois et de la politique. Quant à la description de l’Institut de Salomon, qui seule ici nous intéresse, elle nous semble entièrement terminée. Cependant un auteur fort peu connu du XVIIIe siècle, l’abbé Raguet, s’est fait non-seulement le traducteur, mais le continuateur de la Nouvelle Atlantide, qu’il prétend compléter par ses propres réflexions. Ces réflexions sont sous forme de dialogues, avec des travestissemens bizarres de noms d’hommes et de villes, dans la manière romanesque adoptée par Bacon, qu’il reprend et continue lourdement pour son propre compte[1]. Le seul point de quelque intérêt est une comparaison du collège de Salomon avec l’Académie de Basilie, c’est-à-dire de Paris, et l’éloge de Varron, c’est-à-dire de l’abbé Bignon, qui venait de présider à la réorganisation de l’Académie des sciences.

Mais voici un autre appendice à la Nouvelle Atlantide, beaucoup plus intéressant puisqu’il serait de Bacon lui-même. Selon Bouillet, dans la savante édition qu’il a donnée de ses œuvres, l’auteur de la Nouvelle Atlantide aurait obtenu du roi l’autorisation de présenter au parlement un projet de loi pour la réalisation de son utopie académique. Nous avons même l’esquisse du discours que, d’après son secrétaire Bushel, il devait prononcer à cette occasion. Quoiqu’il ne s’agisse pas tout à fait d’ériger en projet de loi l’Institut de Salomon, comme paraît le croire ce savant éditeur, cette esquisse n’en est pas moins intéressante. Bacon y parle bien de sa théorie philosophique et même de son intention de fonder un établissement académique en conformité avec les principes de la Nouvelle Atlantide, mais d’une manière accessoire, car le but du projet qu’il veut soumettre au parlement, avec l’autorisation du roi, est de dessécher et d’exploiter avec le travail des condamnés, au profit de l’état, les mines d’Angleterre inondées et abandonnées. Par là il espère recueillir une immense quantité de richesses minérales, aujourd’hui perdues, qui serviront à subventionner les hôpitaux et à secourir les pauvres sans augmenter les charges de l’état. Il compte, non sans quelque naïveté, que les prisonniers, en esprit d’expiation, pour faire pénitence et pour obtenir leur grâce, solliciteront eux-mêmes du roi la faveur de se livrer à ces pénibles et dangereux travaux. Semblables, dit-il, à des sages-femmes, ils retireront du sein de la terre tous ces avortemens si misérablement perdus. Déjà même, dans son enthousiasme, il voit la postérité enrichie par tous ces trésors dont

  1. La Nouvelle Atlantide traduite en français et continuée avec des réflexions sur l’institution et les occupations de l’Académie française, de celle des sciences et de celle des inscriptions, par R. — Paris, 1702.