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scientiarum, il ne cesse de recommander, de prêcher le concert de tous les efforts pour arracher à la nature ses secrets. Mais c’est dans l’opuscule inachevé, intitulé la Nouvelle Atlantide, qu’il a exposé ses vues sur une académie parfaite, sur sa constitution, son rôle, sa mission, son but, et sur les moyens pour l’atteindre.

Le titre de Nouvelle Atlantide est une réminiscence de cette grande île, autrefois florissante, aujourd’hui disparue et engloutie dans les flots, dont il est question dans le Critias et le Tîmée de Platon. C’est là que Bacon a placé son académie idéale. Avec sa vive et brillante imagination qui se complaît dans les tours métaphoriques et les allégories, il encadre le plan de cette académie modèle dans les formes les plus romanesques ; il revêt ses personnages, c’est-à-dire les membres de cette académie, d’une pompe théâtrale; il pousse même quelquefois jusqu’à l’hyperbole la puissance et l’étendue des moyens dont ils peuvent disposer pour contraindre la nature à leur révéler ses secrets.

Des navigateurs, en revenant du Pérou, sont jetés par la tempête sur les côtes d’une grande île inconnue. Là, ils sont étonnés de rencontrer le plus civilisé des peuples et l’accueil le plus hospitalier, accueil que ce peuple excellent sait ingénieusement concilier avec les règlemens et les précautions qu’exige la séparation absolue à l’égard du reste du monde et le mystère dont veulent s’environner les citoyens de cette île bienheureuse. Les habitans de Ben-Salem, c’est le nom de l’île, connaissent très bien les mœurs, les lois, les langues des autres peuples ; ils ont même en commun avec la plupart d’entre eux une même foi, la foi chrétienne; mais s’ils veulent bien les connaître, ils ne veulent pas en être connus ; ils redoutent pour la pureté de leurs institutions et pour le bonheur dont ils jouissent le contact des étrangers.

Nous passons les détails de cet accueil: nous ne ferons pas la description de la grande et belle maison des étrangers où sont logés, aux frais de l’état, ceux que la tempête pousse sur ce rivage hospitalier jusqu’au jour où leur vaisseau, réparé et muni de provisions, pourra reprendre la mer. Nous ne parlerons pas non plus des magistrats subalternes avec lesquels ils sont dès le premier jour en rapport, et dont ils admirent les beaux costumes non moins que les manières affables. Toutefois relevons en passant la façon dont Bacon célèbre leur désintéressement. Ne semble-t-il pas que pour lui ce soit vraiment la plus difficile des vertus, par la singulière insistance avec laquelle il les loue de refuser absolument tout présent? « Je ne reçois pas deux salaires pour une seule œuvre, » ou encore, « je ne suis pas un homme de deux salaires; » voilà la réponse de ces hommes rares à toutes les offres qui leur sont faites. Pourquoi le chancelier Bacon se plaît-il à mettre ainsi