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Il est vrai que les avis sur ce point peuvent être différens, suivant l’idée qu’on se fait du rôle et de la mission d’une académie. Dans ces sièges académiques, objet d’une si grande envie, quelques-uns ne voient que la récompense, que la consécration suprême du mérite littéraire et scientifique, sans aucun autre lien des élus les uns avec les autres, sans aucun engagement pour une action en commun, pour une œuvre collective quelconque. Sans doute une académie, même limitée à ce rôle, ne sera pas sans exercer néanmoins quelque action salutaire sur le monde savant ; mais elle n’agira guère que comme le Dieu d’Aristote sur l’univers, en l’attirant à lui, sans sortir d’elle-même, par l’attraction et par l’amour. Sans doute aussi ses membres ne demeureront pas inactifs, quoique nullement astreints à une action commune, mais ils ne feront que continuer chacun de leur côté les études et les recherches particulières qui leur ont valu le titre d’académiciens.

Suivant une autre façon de concevoir cette mission, une grande académie devra sortir d’elle-même pour se répandre au dehors ; elle devra non-seulement exciter de loin les efforts et les recherches par des récompenses, mais y mettre elle-même la main, pour les gouverner, les guider, les coordonner, suivant une vue d’ensemble, vers quelque fin commune : elle ne se bornera pas à enregistrer, ou même à contrôler les découvertes des autres, elle ira au-devant, elle en fera elle-même en son nom, non pas seulement par les efforts isolés de quelques-uns de ses membres, mais en corps, d’une manière collective et avec toutes ses forces combinées. Par la seule vertu de son ascendant, par le zèle et la bonne volonté de ses membres, par la déférence de tous, elle se trouvera revêtue, sans nulle contrainte, d’une magistrature active et d’une sorte de juridiction naturelle sur toute la république des sciences et des lettres.

Avant de décider quel est de ces deux rôles, — l’un plus ou moins contemplatif, l’autre où il est fait une part plus grande au mouvement et à l’action, — celui qui, dans l’intérêt de la science, convient le mieux à une académie, celui qu’il faut chercher à faire prévaloir, il est bon d’examiner quelles ont été sur ce sujet les vues des philosophes, de Descartes, et surtout de Bacon et de Leibniz, qui, au commencement du XVIIe siècle, furent les fondateurs ou les promoteurs des premières et des plus illustres sociétés de l’Europe savante. Ces grands esprits se sont préoccupés de la formation et du rôle des académies ; ils en ont tracé des plans et des modèles, ils ont marqué le but où elles devaient tendre, ils sont même entrés dans un curieux détail de leurs règlemens, de leurs ressources, de leurs finances. Nous croyons utile de recueillir leurs idées et même, si l’on veut, leurs utopies, de rechercher quelles applications elles pourraient aujourd’hui recevoir, et dans quelle mesure,