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que la France obtiendrait plus facilement de l’Europe que de la Prusse les sûretés qu’elle serait peut-être obligée de demander. C’était à l’Europe qu’en appelait officiellement et énergiquement la Russie dès le lendemain de Sadowa. On était fort irrité à Pétersbourg des procédés violens dont avaient à souffrir des princes allemands alliés de la famille impériale. La presse russe s’exprimait en termes amers sur les succès des Prussiens ; elle poussait à une intervention, disant qu’on ne saurait tolérer l’accroissement d’un tel voisin.

Le cabinet de Saint-Pétersbourg, à l’exemple du gouvernement français, avait laissé les événemens se développer en Allemagne sans prendre ses précautions ; comme nous, il croyait à la supériorité des armes autrichiennes, et il en paraissait si convaincu qu’après la bataille de Custozza il s’était empressé de faire parvenir ses félicitations à l’empereur François-Joseph. Lorsque l’envoyé du tsar, le comte de Stackelberg, arrivait à Vienne, aux débuts si brillans de la campagne d’Italie avaient déjà succédé des revers sanglans en Bohème. Le gouvernement russe reconnaissait tardivement qu’il avait été mal inspiré, et son mécontentement ne fit qu’augmenter lorsqu’il put craindre un accord secret entre le cabinet de Berlin et le gouvernement français. Il suivait, anxieux et jaloux, nos tête-à-tête avec M. de Bismarck, et, pris au dépourvu, il ne voyait que dans une conférence internationale le moyen de conjurer le danger d’une entente séparée entre la France et la Prusse excluant la révision du traité de Paris.

Le prince Gortchakof, dont le baron de Talleyrand signalait l’irritation, trouvait que le silence n’était pas permis aux grandes puissances devant les prétentions formulées dans une circulaire de M. de Bismarck ; il demandait que les trois cours s’entendissent pour remettre à Berlin, le même jour, une note identique déniant à la Prusse le droit de prononcer la rupture de la confédération germanique et d’en former une nouvelle dans le nord de l’Allemagne[1]. On dit que l’empereur Alexandre s’adressa directement à l’empereur Napoléon pour le supplier de s’associer à ses protestations ; mais le gouvernement français demeura insensible à ces sollicitations, bien que l’attitude de l’Angleterre à Berlin ne fût guère plus approbative que celle de la Russie, et que lord Loftus, son ambassadeur, refusât d’admettre que la Prusse pût disposer d’une population de 30 à 40 millions d’âmes sans causer à droite et à gauche de légitimes inquiétudes. Le cabinet des Tuileries se fiait aux déclarations de M. de Bismarck, qui, lors de la présentation

  1. Dépêche de M. Drouyn de Lhuys à M. Benedetti, 7 juillet.