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de larges compensations. Les rapports qu’il recevait d’Allemagne ne pouvaient que le confirmer dans cette conviction. « La Prusse est victorieuse, lui écrivait M. de Gramont, mais elle est épuisée. Du Rhin à Berlin, il n’y a pas 15,000 hommes à rencontrer. Vous pouvez dominer la situation par une simple démonstration militaire, et vous le pourrez en toute sécurité, car la Prusse est incapable en ce moment d’accepter une guerre avec la France. Ne lui offrez pas plus qu’elle ne demande, que l’empereur fasse une simple démonstration militaire, et il sera étonné de la facilité avec laquelle il deviendra, sans coup férir, l’arbitre et le maître de la situation. » Les provinces rhénanes étaient en effet sans défense, elles étaient littéralement déménagées ; on avait, dans un esprit de prévoyante économie, tout enlevé, dit-on, jusqu’à des baraquemens et de vieux affûts de canons, comme si l’on s’était attendu à une occupation imminente.

La Prusse aurait-elle été en mesure de faire face à la fois aux réserves de l’armée autrichienne, aux armées encore intactes des états du midi et à 100,000 Français occupant la ligne du Rhin et Mayence, dont la garnison, insuffisante d’ailleurs, composée de Hessois et de Bavarois, nous aurait accueillis à bras ouverts ? Cette éventualité avait dû s’imposer aux états-majors si prévoyans de la Prusse, et l’on peut admettre qu’un homme de la valeur du général de Moltke se serait trouvé à la hauteur de toutes les difficultés. Mais le roi aurait-il envisagé avec le même sang-froid la perspective d’une France, même incomplètement préparée, se joignant à ses adversaires ? M. de Bismarck, dans les considérations rétrospectives qu’il émettait devant le parlement, dans la séance du 16 janvier 1874, a démontré à ceux qui lui reprochaient sa condescendance à Nikolsbourg combien une intervention militaire de la France eût été périlleuse. « La France n’avait que peu de forces disponibles, disait-il, mais un faible appoint aurait suffi pour constituer une armée très respectable avec les nombreuses troupes de l’Allemagne du sud. Cette année nous aurait mis de prime-abord dans la nécessité de couvrir Berlin et d’abandonner tous nos succès en Autriche. »

La cour de Prusse, cet aveu l’indique, se serait vraisemblablement pliée aux nécessités du moment, et, pour ne pas perdre le bénéfice de ses victoires, elle se serait prêtée à des concessions qu’elle n’avait plus aucun intérêt à nous faire lorsqu’au lieu de procéder à une intervention armée, nous nous contentions du rôle de médiateurs sans formuler aucune demande de compensation. Mais il aurait fallu avant tout que la volonté du souverain fût assez forte pour imposer silence aux adversaires du ministre des affaires étrangères,