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M. de Bismarck se réaliseraient à la lettre et qu’à l’heure décisive pour la France l’intérêt italien ferait taire l’intérêt français.

On avait cru d’abord que l’annonce de la cession de la Vénétie à la France et la demande de médiation, insérée au Moniteur le 5 juillet, étaient le résultat d’une seule et même détermination, et que l’Autriche, foudroyée par le désastre de Sadowa, s’était jetée dans nos bras pour obtenir la paix à tout prix. Il n’en était rien. L’Autriche, en s’adressant à l’empereur, dont elle sollicitait l’intervention en échange de sa donation, s’était proposé seulement de mettre le drapeau français entre elle et l’Italie. Elle espérait obtenir directement de la Prusse un armistice qui aurait pu changer la face de la guerre. Il aurait suffi de peu de jours pour permettre à l’armée du sud de rallier l’armée du nord. Peut-être aussi se flattait-elle qu’en face de la défection italienne la cour de Prusse se montrerait accommodante et lui offrirait des conditions acceptables. Tout porte à croire que c’est dans cette double pensée qu’on avait fait partir le général de Gablentz pour le quartier général du roi Guillaume, tandis qu’on chargeait le prince de Metternich de réclamer notre intervention au quartier général du roi Victor-Emmanuel.

Les adversaires de l’Autriche à la cour des Tuileries n’avaient pas manqué, nous l’avons vu, de relever les arrière-pensées de cette politique. L’empereur, frappé des raisons qu’ils faisaient valoir, n’osait passer outre et croyait ne pouvoir agir utilement en Italie qu’en étendant sa médiation à la Prusse. Il s’en expliqua avec le prince de Metternich, et le cabinet de Vienne, dans sa détresse, n’eut plus qu’à s’incliner devant une résolution qui paraissait irrévocable. La cession restait dès lors provisoirement suspendue et en quelque sorte subordonnée aux exigences que manifesterait le cabinet de Berlin. On comptait secrètement sur un excès de prétentions de sa part, peut-être même à de mauvais procédés envers son alliée pour amener l’Italie à se dégager légitimement du traité du 8 avril. Après s’être si bénévolement prêté à cette alliance, on n’avait plus qu’un souci, celui de la défaire !

C’était se méprendre étrangement sur la prévoyance et l’habileté de M. de Bismarck que de croire qu’il fournirait au cabinet de Florence des prétextes sérieux pour se soustraire à ses engagemens, tant qu’il ne se serait pas assuré lui-même tous les bénéfices de la campagne. Je crois avoir dit qu’il était de l’école de Frédéric II, et c’était une habileté de ce grand politique de ne jamais prolonger la guerre au-delà des strictes nécessités de son intérêt et d’affliger ses alliés par la brusquerie précipitée de ses traités de paix. M. de Bismarck ne fut pas infidèle à cette tradition. Il le prouva en acceptant immédiatement notre médiation et en s’empressant de fixer les préliminaires.