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leurs éperons. Il leur semblait que l’ennemi avait à cœur de leur marquer son mépris en ne leur faisant pas l’honneur de traiter avec eux. « Donner la Vénétie à la France, qui n’a pas participé à la guerre, disait la Gazette de Turin, c’est vouloir l’arracher des mains de nos soldats en mesure de la conquérir. » — « Nous n’accepterons l’armistice, s’écriait le Movimento, qu’un gage en main l’annexion de la Vénétie ne doit être que le triomphe du principe unitaire et non le résultat d’accommodemens diplomatiques. »

On élevait d’autant plus la voix que la Prusse était victorieuse et que la Vénétie était garantie au cabinet de Florence par le traité de Berlin. Les Italiens déclaraient que Venise ne devait être pour eux que le prix de l’action décisive qu’ils avaient exercée sur les résultats de la guerre, en tenant en échec par leurs efforts et leur bravoure la moitié des forces autrichiennes. Ils trouvaient d’ailleurs la cession insuffisante, ils se croyaient en droit de revendiquer non-seulement la Vénétie sans indemnité, mais aussi ce qu’ils appelaient la terre italienne, Trieste, l’Istrie et surtout le pays de Trente, qui était la clé du passage des Alpes et par conséquent leur frontière naturelle. Vainqueurs à Custozza, leur ambition n’aurait pu se montrer plus exigeante. Aussi, pour s’épargner toute obligation de gratitude, ils se hâtaient de prendre possession des territoires que la France ne leur avait pas livrés et que l’Autriche ne se croyait plus en droit de défendre. Ils entendaient en appeler au suffrage des populations et publiaient par anticipation des décrets sans souci de nos droits, ni de nos ressentimens.

Si quelques rares hommes d’état rappelaient les égards dus à la France, les généraux étaient unanimes à demander la continuation de la guerre, et ils se faisaient forts de conquérir Venise à la pointe de l’épée. Malheureusement pour leur courage, il n’était plus possible de l’enlever à l’empereur François-Joseph, ils ne pouvaient plus que la prendre à l’empereur Napoléon, ce qui n’était pas bien difficile, puisqu’il ne demandait qu’à la leur donner.

C’est sous l’empire de ces impressions et de ces sentimens que le roi Victor-Emmanuel répondit à la dépêche de l’empereur qui lui annonçait les arrangemens pris avec l’Autriche. Il le remerciait en termes chaleureux de l’intérêt qu’il portait à l’Italie, mais il ne lui cachait pas que, dans une occurrence aussi grave, il se croyait tenu de consulter au préalable son gouvernement et de ne pas oublier qu’il avait signé un traité avec la Prusse. Il ajoutait peu généreusement qu’il ne s’était engagé que sur nos conseils et avec notre approbation. M. Nigra recevait en même temps une dépêche du général de La Marmora qui ne pouvait laisser aucune illusion sur l’intention bien arrêtée du cabinet de Florence de continuer les