Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sacrifices, et d’où le vainqueur, quel qu’il fût, ne sortirait qu’éprouvé et incapable de s’exposer à une lutte nouvelle en provoquant par une ambition exagérée les justes griefs de la France. Il avait suffi à la Prusse de deux semaines d’opérations actives pour changer les destinées de l’Allemagne et abattre en quelque sorte du premier coup une des plus grandes puissances de l’Europe. Il ne pouvait plus être question de neutralité attentive ; réveillé en sursaut, on arrivait à l’heure des résolutions suprêmes. À quel parti s’arrêterait-on ? Fallait-il parlementer avec le vainqueur pour modérer ses conditions, ou réclamer une part dans les dépouilles ? Jamais décisions plus graves ne s’étaient imposées à un gouvernement. Il y allait du prestige de l’empire et de la sécurité de la France. Le conseil des ministres fut convoqué sans retard ; le lendemain matin avant sa réunion, M. Drouyn de Lhuys représentait à l’empereur la gravité des événemens sans lui dissimuler qu’ils pourraient avoir des conséquences aussi désastreuses que les défaites du premier empire, si l’on reculait devant les mesures énergiques. Le programme qu’il lui soumettait devait parer à toutes les éventualités. Il s’agissait de convoquer les chambres, de demander des subsides au corps législatif, d’enjoindre à notre ambassadeur à Berlin de se rendre sans délai au quartier général pour imposer notre médiation, pour arrêter l’armée prussienne et faire pressentir notre intervention et au besoin l’occupation de la rive gauche du Rhin, si le roi, méconnaissant les assurances qu’on nous avait données en retour de notre neutralité, ne se montrait pas modéré dans ses exigences vis-à-vis de l’Autriche, et s’il procédait à des conquêtes territoriales de nature à troubler l’équilibre de l’Europe[1]. M. Drouyn de Lhuys demandait en outre, pour appuyer l’action de notre diplomatie, une démonstration militaire d’autant plus facile que les provinces rhénanes étaient absolument dégarnies de troupes, et que le maréchal Randon, consulté, se déclarait prêt à mettre immédiatement 80,000 hommes au service de notre politique.

Le prince de Metternich, qu’un télégramme de Vienne avait muni de pleins pouvoirs pour négocier, s’était de son côté rendu à Saint-Cloud après s’être concerté avec le ministre ; il avait vu l’empereur avant l’ouverture du conseil, et il avait obtenu qu’il intervînt comme médiateur auprès du cabinet de Florence, et qu’il déclarât publiquement qu’il acceptait la cession de la Vénétie, prévue dans la convention du 9 juin. L’ambassadeur autrichien avait demandé en outre que la France exigeât du cabinet de Florence la garantie d’un

  1. Confidences de M. de Chaudordy, chef du cabinet de M. Drouyn de Lhuys, faites à M. Hansen.