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non pas des théologiens qui dissertent, mais d’honnêtes gens qui s’entretiennent un jour de loisir. Il suppose qu’un de ses anciens amis, Octavius, chrétien comme lui, le vient voir après une longue absence, et que, pour être plus libres et s’appartenir davantage l’un à l’autre, ils quittent Rome pendant quelques jours, en compagnie d’un ami commun, Cœcilius, qui est resté païen. C’était pendant les fériés des vendanges, époque où, les tribunaux étant fermés, les avocats sont en vacances. Ils partent donc tous les trois pour Ostie, « site charmant, » où l’esprit jouit du repos et le corps retrouve la santé. Un matin qu’ils se dirigeaient vers la mer, « se livrant au plaisir de fouler le sable qui cédait sous leurs pas et d’aspirer cette brise légère qui rend la vigueur aux membres fatigués, » Cœcilius, le païen, ayant aperçu une statue de Sérapis, la salue, selon l’usage, en approchant sa main de sa bouche. Cet acte religieux blesse Octavius, qui ne peut s’empêcher de dire à l’autre chrétien : « C’est mal, mon frère, de laisser dans cette grossière erreur un ami fidèle. Lui permettrez-vous d’envoyer des baisers à des statues de pierre qui ne méritent pas cet honneur, toutes couvertes de couronnes et arrosées d’huile qu’elles sont? » Personne ne répond d’abord, et la promenade continue. Quand on a visité la plage d’Ostie, il est aisé de refaire par la pensée le chemin que les amis parcoururent ensemble. Ils suivirent sans doute cette longue rue qui longe le Tibre ou quelque rue parallèle, puis, arrivés à l’endroit où les maisons cessaient et où rien ne bornait la vue, ils jouirent de l’aspect de cet immense horizon. Ils marchaient sur le sable humide, le long du rivage, parmi les barques qu’on avait tirées sur le bord, à côté des enfans qui s’amusaient à faire rebondir des cailloux sur l’eau. Les deux chrétiens, dont l’âme est tranquille, se livrent entièrement au plaisir de ces spectacles, mais Cœcilius ne regarde rien ; il est muet, sombre, préoccupé; les quelques mots qu’il vient d’entendre le troublent, il veut qu’on s’explique, il demande à être éclairé. Alors tous les trois s’asseyent sur les grandes pierres qui protègent la jetée, et, en face de cette mer tranquille, sous ce soleil éclatant, ils commencent à s’entretenir ensemble de ces grandes questions qui agitaient le monde. — Est-ce bien un roman que Minutius nous raconte? Dans tous les cas, c’est un roman qui ressemble beaucoup à la vérité. Je ne doute guère que plus d’une conquête que le christianisme a faite au second siècle n’ait été amenée par des incidens semblables, que souvent un mot, jeté comme par hasard dans un moment favorable, ait ému une âme bien disposée et qu’elle ait achevé de se rendre après quelques entretiens comme ceux qui furent alors tenus sur le rivage d’Ostie et que Minutius a rapportés.

La mort de sainte Monique est l’autre grand souvenir chrétien que rappellent les ruines d’Ostie. Saint Augustin en a raconté les circonstances