Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Trajan, qui formait une sorte de bassin intérieur. Là, s’ils étaient trop grands pour naviguer sur le Tibre, on les déchargeait de leurs marchandises, qu’on transportait sur des barques plus petites. Une peinture curieuse, découverte à Ostie même, dans le tombeau d’un riche patron de navire, nous montre comment s’accomplissait cette opération. Cette peinture représente une de ces barques qui servaient à la navigation du Tibre et qu’on appelait naves caudicariœ. Chacune d’elles, comme les vaisseaux d’aujourd’hui, avait son nom par lequel on la désignait et qu’on inscrivait en noir ou en rouge sur quelque endroit apparent. Celle-ci avait reçu le nom d’une divinité auquel on ajoutait, de peur de confusion, celui de son propriétaire : on l’appelait l’Isis de Geminius (Isis Geminiana). Sur la poupe, au-dessus d’une petite cabine, le pilote Pharnaces tient le gouvernail. Vers le milieu, le capitaine Abascantus surveille les travailleurs. Du rivage, des portefaix, courbés sous le poids d’un sac de blé, se dirigent vers une petite planche qui joint la barque à la terre. L’un d’eux est déjà arrivé et verse le contenu de son sac dans une sorte de grande mesure (modius), tandis qu’en face de lui le mensor frumentarius, chargé des intérêts de l’administration, s’occupe à voir que la mesure soit bien pleine et tient les bords du sac pour que rien ne se perde. Un peu plus loin un autre portefaix, dont le sac est vide, s’est assis et se repose, et toute sa physionomie respire un air de satisfaction qu’explique le mot que le peintre a écrit au-dessus de sa tête : «J’ai fini, feci. » C’est une scène d’une vérité saisissante, comme on en voit tous les jours dans nos ports de mer. — La barque ainsi chargée se dirigeait par la fossa Trajana vers le Tibre et suivait le fleuve jusqu’à Rome.

Auprès des nouveaux ports, une ville nouvelle se forma. On l’appelait, du nom de son fondateur, Portus Trajani, ou simplement Portus (aujourd’hui Porto). Elle devait être habitée surtout par des négocians et des employés de l’annone : en réalité, ce n’était qu’un faubourg de la vieille Ostie, quoiqu’on paraisse quelquefois l’en distinguer. Autour des bassins, Trajan fît construire de vastes magasins, des entrepôts, un forum, des portiques, dont on a retrouvé les restes, et dans le terrain qui séparait son port de celui de Claude il se bâtit à lui-même un magnifique palais. Ce palais serait sans doute l’une des ruines les plus curieuses de l’antiquité romaine, s’il avait été déblayé d’une manière intelligente; mais il est aujourd’hui à peu près inabordable. M. Texier a raconté, dans un article intéressant[1], de quelle manière il fut découvert. Un

  1. Cet article a été publié dans la Revue générale d’architecture de Daly, t. XV. M. Texier avait été chargé par le gouvernement français d’étudier les atterrissemens des grands fleuves de la Méditerranée. M. Lanciani, qui a visité Porto plus tard, a consigné ses observations dans les Annales de l’Institut de correspondance archéologique. (Sulla cita di Porto, 1868.)