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mer, au milieu de la multitude des navires, ceux d’Alexandrie, qu’on reconnaissait à l’originalité de leurs voiles. C’était beaucoup d’avoir traversé la Méditerranée et d’être arrivé d’Egypte à Pouzzoles; mais le voyage n’était pas pourtant achevé : il fallait aller, en longeant le rivage, de Pouzzoles à Ostie, ce qui présentait beaucoup de danger, et, même quand on était en face du Tibre et en vue d’Ostie, tout n’était pas fini. L’entrée du fleuve était si difficile, la côte si mauvaise et si changeante que plus d’un navire venait misérablement y échouer. N’avait-on pas vu un jour deux cents vaisseaux à la fois périr dans le port même, où ils n’étaient pas protégés contre la tempête ?

Ce dernier péril au moins, on pouvait le conjurer. Il suffisait de construire à Ostie un port plus sûr, où les navires aborderaient aisément et n’auraient rien à craindre des orages. César avait, dit-on, songé à le faire, mais la mort l’en empêcha, et ce projet fut abandonné pendant plus d’un siècle après lui. Ce fut Claude, l’imbécile Claude, qui eut l’honneur de l’exécuter. Ce pauvre prince, que ses malheurs domestiques ont rendu ridicule et dont la tête n’était pas très saine, avait pourtant le goût des travaux utiles. Son zèle ici fut stimulé par un danger personnel qu’il avait couru au commencement de son règne. Quand il arriva à l’empire, Rome souffrait cruellement d’une famine dont on accusait son prédécesseur d’être la cause. Caligula, qui était, lui, tout à fait fou, avait eu la fantaisie de se promener à cheval sur le golfe de Naples. Pour le satisfaire, on avait réuni en grande hâte tout ce qui se trouvait de vaisseaux et de barques dans les ports d’Italie; puis, en les attachant ensemble, on en avait fait un large pont qui allait de Pouzzoles à Bauli, avec des auberges sur la route pour se divertir, et l’empereur s’était passé son caprice. Mais les vaisseaux employés aux plaisirs de César n’avaient pas pu aller chercher dans le temps favorable les blés de l’Egypte et de l’Afrique, et Rome manquait de pain. Le peuple, dans sa colère, s’en était pris à Claude, qui n’était pas coupable, et on avait failli lui faire payer les folies de son prédécesseur. Assailli au milieu du Forum, insulté, battu, il ne s’était sauvé des mains de ces forcenés que grâce à une porte dérobée qui s’était trouvée ouverte et qui lui permit de rentrer au Palatin. Claude eut grand’peur ce jour-là. Pour n’être plus expose à des séditions de ce genre et rendre l’arrivée des blés plus facile, il résolut de rebâtir le port d’Ostie. On raconte que les ingénieurs, contrairement à leurs habitudes, exagérèrent les dépenses de l’entreprise pour l’en détourner; mais il tint bon contre tout le monde, ce qui n’était guère son usage, et, de peur que les travaux ne fussent conduits avec négligence, il prit le parti de les surveiller lui-même. Pendant tout le temps qu’ils durèrent, il fit de