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des milieux différens et de conserver quelques-unes de leurs meilleures qualités jusque dans ces reproductions hâtives. C’est la multitude de ces artistes secondaires qui peut seule expliquer qu’après la première catastrophe Pompéi ait été complètement rebâtie et décorée en seize ans; et leur nombre même, ainsi que les ouvrages qu’ils exécutaient partout avec tant de succès et de facilité, montre à quel point le goût des arts s’était rendu dans le monde romain au Ier siècle.

Voilà surtout ce que Pompéi peut nous apprendre. Ce n’était pas une grande ville : elle ne contenait guère que douze mille habitans. Ce ne devait pas être non plus une ville très riche : quoiqu’elle fut en relation directe avec l’Egypte, elle ne connaissait pas la grande industrie, et le seul commerce dont on ait trouvé jusqu’ici des traces chez elle est celui des objets nécessaires à la vie commune. C’était certainement une ville de plaisir, comme toutes celles qui étaient situées dans ce climat heureux, autour de ce golfe admirable[1]; mais on va trop loin quand on la compare à nos établissemens thermaux qui ne sont peuplés que d’étrangers et qu’on ne fréquente qu’une saison. Sans doute autour de la ville, sur les bords du Sarnus, « où l’on respirait le goût du repos, » tout près de la mer, le long des rampes du Vésuve, qui était alors une charmante montagne, verte et boisée jusqu’au sommet, les grands seigneurs avaient fait construire des villas élégantes qu’ils venaient habiter pendant quelques semaines. Cicéron aimait à passer de sa maison de Cumes à celle de Pompéi en s’arrêtant quelques jours à Baies, « le plus beau lieu du monde, » où il retrouvait toute la société distinguée de Rome. Je veux bien croire que l’exemple de cette population flottante propageait dans le pays le goût du luxe et qu’elle pouvait y répandre un peu plus d’aisance par l’argent qu’elle dépensait sans compter. Mais la ville ne se composait pas uniquement de gens de passage; elle possédait une bourgeoisie honorable et importante, qui l’habitait depuis plusieurs générations, et où l’on se succédait de père en fils dans les premières magistratures. Ce n’était donc pas, comme on l’a prétendu, une ville d’exception; elle devait à peu près ressembler aux autres, et il est légitime de les juger sur elle.

Pompéi frappe d’abord le visiteur par un air d’élégance, de richesse, de gaîté. On se dit en parcourant ses rues, en pénétrant dans ses maisons, que la vie devait y être facile et riante. Les habitans

  1. On a retrouvé à Ostie la tombe d’un Grec, né à Tralles, dans l’Asie Mineure, qui nous apprend, en vers assez réguliers, qu’il a souvent visité Baies et les pays voisins, propter aquos calidas deiciasque maris.