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formées de blocs énormes, pris aux montagnes voisines, et placés l’un sur l’autre sans ciment. Dans cet espace, trop vaste pour eux, les nouveaux habitans s’établirent à l’aise. Leurs maisons, dont les fondations subsistent encore, ne consistaient qu’en une cour couverte autour de laquelle les appartemens étaient distribués. Chaque habitation était placée au centre d’un petit lot de terre (hœredium) que la famille cultivait. La ville n’était donc pas alors une agglomération de maisons pressées les unes contre les autres, mais une réunion de familles vivant sur leurs terres à l’abri d’une muraille commune. Deux siècles plus tard vinrent les Samnites; c’était un peuple intelligent, civilisé, et qui se laissa vite gagner aux arts de la Grèce. Les Samnites bâtirent une ville véritable, avec de très beaux monumens dont quelques-uns existent encore et conservent les inscriptions que les magistrats y avaient fait placer : tels sont les temples de Vénus et d’Isis, et cet élégant portique dans lequel M. Fiorelli reconnaît un hécatonstylon et qu’on appelait autrefois le Forum triangulaire. Ils élevèrent aussi de plusieurs mètres les murailles de la cité, plaçant des assises régulières en pierre de Nocera au-dessus des blocs grossiers qu’avaient entassés leurs prédécesseurs. Fidèles à leurs instincts belliqueux, ils firent de Pompéi une ville de guerre, munie de fortifications redoutables qui résistèrent même aux Romains. Quand elle eut été enfin soumise, Sylla y envoya trois cohortes de vétérans avec leurs familles et en fît une colonie romaine qui prit son nom (colonia Cornelia). Dès lors Pompéi devint ce qu’elle est restée jusqu’à son dernier jour, une ville de plaisir, où les voyageurs s’arrêtaient volontiers, pour y jouir d’une nature riante, d’une admirable vue et d’un des plus beaux climats du monde.

Depuis que les travaux préliminaires de M. Fiorelli sont achevés et qu’on possède un plan plus exact et plus complet des quartiers qu’on a fouillés jusqu’ici, on a pu reconnaître mieux qu’on ne le faisait auparavant que la ville est régulièrement construite, qu’en général les rues y sont bien alignées et se coupent à angle droit. Il ne faudrait pas croire que cette régularité ait été introduite à Pompéi par les architectes qui la rebâtirent après son premier désastre. M. Fiorelli pense qu’elle existait déjà dans la ville primitive. Les vieux Italiens qui s’établirent les premiers au bord du Sarnus avaient une façon particulière de tracer le plan des villes qu’ils voulaient fonder : c’était une opération religieuse, qui était décrite dans les rituels et dirigée par des prêtres. On conduisait dans un espace vide une charrue attelée d’un cheval et d’un bœuf, et le sillon qu’elle creusait formait l’enceinte de la cité nouvelle. On traçait ensuite deux lignes perpendiculaires, l’une du nord au midi, qui s’appelait