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que, tout en sympathisant avec la misère des ouvriers, il ne pouvait créer du travail pour eux, — Alors, cria une voix, débarrassez-nous des Chinois. — Je le désire autant que vous, reprit-il, et si d’ici à peu nous n’avons plus de Chinois sur notre sol, je serai le premier à m’en réjouir. — Il termina en promettant d’inviter les capitalistes à embaucher le plus grand nombre d’ouvriers possible et de demander aux sociétés de bienfaisance de venir en aide aux plus malheureux.

Son discours, vivement critiqué le lendemain par le parti de la résistance, ne satisfit qu’à, demi ses auditeurs, qui prirent toutefois acte de ses promesses et surtout de ses déclarations relatives aux Chinois. Kearney et les principaux meneurs estimèrent que c’était déjà beaucoup que d’avoir amené le maire à faire cause commune avec eux contre l’immigration chinoise. — Vous avez entendu la réponse du maire, s’écria Kearney, l’ennemi commun c’est l’Asiatique, sa forteresse c’est « Chinatown. » On désigne ainsi le quartier populeux qu’habitent les Chinois. — Emportons-la d’assaut, brûlons-la, faisons-la sauter, répondait la foule. — Soit, répliqua Kearney, mais avant, organisons-nous, et formons-nous en milice. Aux armes et vive la révolution ! Aux armes! et, si la compagnie du Pacifique persiste à recevoir des Chinois à bord de ses navires, marchons en rangs serrés et faisons sauter ses vapeurs. Ecoutez, avant peu j’appellerai 40,000 hommes, et nous verrons ce qu’oseront ou pourront faire la police et les troupes fédérales.

Le lendemain le San-Francisco Herald répliquait que 75,000 citoyens résolus barreraient le chemin aux 40,000 hommes de Kearney. « On prêche ouvertement dans nos rues l’anarchie, la violence et l’incendie. Les autorités, incapables om intimidées, n’osent tenir tête à l’émeute; mais nous le ferons, nous, et 75,000 autres avec nous sont décidés à mettre un terme à ces scènes odieuses. »

De leur côté, les Chinois, effrayés, se réclamaient du texte des traités et faisaient appel aux autorités fédérales pour la protection de leurs personnes et de leurs propriétés. J. G. Kennedy, représentant à Washington des six grandes compagnies, remettait au président des États-Unis une protestation énergique contre les menaces dont les Asiatiques étaient l’objet et demandait l’envoi immédiat d’instructions spéciales et de troupes.

La manifestation du 3 janvier avait eu pour résultat d’augmenter considérablement l’influence de Kearney et de grandir son rôle. Dès le lendemain, il procéda à l’organisation militaire et politique de ses partisans. Il est hors de doute que depuis longtemps il entretenait des rapports suivis avec les chefs du parti socialiste à New-York, Philadelphie, Chicago, Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans. Dans toutes ces villes les socialistes ont des milices embrigadées; sous le