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menacent la Californie, je vous supplie de prendre les mesures nécessaires pour les conjurer. »

Il n’était que temps, en effet. On ne discutait plus sur le plus ou le moins de légalité ou d’efficacité des plans suggérés, on se préparait à agir, et les chefs du socialisme se mettaient à la tête du mouvement; ils visaient haut et loin.

Ni la victoire qui dépasse les espérances, ni la prospérité matérielle toujours croissante ne mettent les peuples à l’abri de certaines épreuves; l’histoire de l’Allemagne et les États-Unis depuis vingt ans l’attestent. Ainsi que les individus, les peuples sont sujets à des maladies, à des crises soudaines et violentes que la gloire et le succès sont impuissans à conjurer. Les idées de revendication sociale ne sont spéciales à aucune nation ni à aucune race. Devant toutes et pour toutes se pose le menaçant problème de l’inégalité, du bien et du mal, du juste et de l’injuste, de l’opulence excessive et de la misère abjecte. Si riche que soit un pays, si favorisé du sort que soient ses habitans, cette inégalité subsiste. On a cru longtemps que les idées socialistes révolutionnaires n’auraient pas prise sur les États-Unis. La grande république américaine offrait aux déshérités de l’ancien monde, avec une liberté absolue, des terres fertiles et sans limites, un travail bien rétribué, une égalité sociale inconnue partout ailleurs, des droits politiques accessibles à tous. Entre le capital et la main-d’œuvre plus de lutte, le travail menant sûrement au capital et lui dictant ses lois. L’hérédité des grandes fortunes n’existait pas, celle des grandes situations ne pouvait naître sous un régime aussi démocratique. Dans cette ruche de travailleurs égaux en droits, sur ce sol nouveau, presque sans histoire comme sans passé, le problème de la misère semblait résolu et du même coup celui des haines sociales et des convoitises de ceux qui n’ont pas contre ceux qui possèdent.

Un changement s’est produit depuis la guerre de sécession. Les grands événemens entraînent avec eux des conséquences que n’ont souvent prévues ni les penseurs qui les annoncent, ni les hommes d’état qui les préparent, ni les hommes d’action qui les accomplissent. Les conditions économiques et politiques ont subi de profondes modifications, l’immigration européenne s’est arrêtée; un tarif protectionniste, en augmentant la cherté de la vie, a enrichi les uns, appauvri les autres et créé dans les états du nord de vastes manufactures où des milliers d’ouvriers embrigadés ont retrouvé, avec la discipline de l’atelier, le régime économique et social des grands centres manufacturiers. Là, comme ailleurs, et plus qu’ailleurs, les mêmes causes ont produit les mêmes effets. On sortait victorieux d’une lutte acharnée. On avait dépensé sans compter l’or et la vie des hommes, mais on triomphait, et le sentiment national