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pas les courans économiques. Les mesures révolutionnaires n’y peuvent rien. Admettons cependant le concours de toutes les volontés, la grève organisée et maintenue. Tous les Chinois ne sont pas hommes de peine. Il en est de riches parmi eux, et riches et pauvres ils se soutiennent et excellent à tourner les difficultés. Les questions économiques et commerciales leur sont familières ; aucun peuple ne pousse aussi loin l’intelligence des intérêts matériels et ne connaît mieux les ressources de l’association. Depuis des siècles ils en tirent un parti prodigieux et nous en étions encore à épeler péniblement les élémens du crédit que les banques par actions, les sociétés anonymes et le papier de change existaient chez eux. En Californie ils sont propriétaires de terrains, de fermes et de mines. Ils les exploitent à bon compte. Le jour où les capitalistes américains et européens cesseront de les employer ils travailleront pour leur propre compte et produiront à meilleur marché. Ce n’est pas sans doute en les enrichissant qu’on se débarrassera d’eux.

Enfin on suggère la dénonciation et la révision des traités avec la Chine. Le comité du congrès auquel a été renvoyé l’examen de la question, après avoir longuement développé dans son rapport tous les argumens qui militent contre l’immigration asiatique, conclut en recommandant au congrès l’adoption de la résolution suivante : « Le président des États-Unis est invité à ouvrir des négociations avec les gouvernemens de Chine et d’Angleterre, et à prendre, de concert avec eux, les mesures nécessaires pour arrêter l’immigration chinoise aux États-Unis. » Mais en admettant que le gouvernement impérial consentît à cette révision, il insisterait certainement pour reconquérir, lui aussi, sa liberté d’action, et le premier usage qu’il en ferait serait de rétablir les anciennes barrières. Puis cette révision ne serait pas une solution, il faudrait modifier et remanier les lois relatives à l’émigration aux États-Unis. La civilisation ne recule pas, et les barrières factices élevées à l’encontre des intérêts et des principes sont des digues impuissantes, promptement balayées par un torrent plus impétueux.

Ces considérations frappent les yeux des plus clairvoyans, mais le courant populaire les entraîne; impuissans à le maîtriser, ils essaient de le diriger. Le 16 décembre dernier, M. Page, représentant de la Californie au congrès des États-Unis, adressait au président de l’Union une lettre reproduite par tous les journaux et dans laquelle il s’exprimait ainsi : « .. Je dois ajouter que la situation est telle à San-Francisco qu’une inquiétude générale se manifeste dans tout l’état. Des gens sans aveu préparent un mouvement d’insurrection dont les conséquences seraient terribles. La partie sensée de la population s’efforce de l’arrêter et fait appel au pouvoir exécutif et législatif. Convaincu que vous n’ignorez pas les dangers qui