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de l’actif social. Suivant eux, les Chinois non-seulement ne contribuent en rien à cette plus-value, mais encore ils prélèvent sur ce fonds commun une part considérable. Les relevés des banques constatent que dans l’espace de vingt-cinq ans (1853 à 1878) ils ont expédié en Chine la somme énorme de 180 millions de dollars, 900 millions de francs. Or, pendant le même laps de temps on estime à 300 millions de francs seulement la somme que les émigrans de race blanche ont pu économiser sur leurs salaires. Il résulte en outre de la statistique officielle des douanes de San-Francisco que, pour l’année 1877, l’exportation d’argent à destination de Chine s’est élevée à 90 millions de francs, sans compter ce qu’ont pu emporter sur eux, en numéraire, les Chinois en cours de voyage. C’est un tiers de l’exportation totale de la Californie.

La puissance d’absorption de l’argent, soit en lingots, soit en espèces monnayées, par la Chine et les Indes, est d’ailleurs un fait depuis longtemps constaté. Bien avant la découverte de la Californie et de l’Australie, l’Asie avait presque épuisé le stock métallique des piastres espagnoles et mexicaines. En 1877, son importation d’argent, de toutes provenances, a dépassé 525 millions de francs. Southampton, San-Francisco, Marseille et Venise sont les principaux ports par lesquels s’effectue ce mouvement argentifère. L’importation d’or en Chine est presque nulle et représente pour 1877 environ 2 millions.

Ce qui ressort des chiffres ci-dessus, c’est la prodigieuse économie des émigrans chinois et leur force productrice. Si ces deux qualités sont un crime aux yeux de leurs adversaires, c’est que, disent-ils, le Chinois ne s’établit pas définitivement dans le pays; il obéit à l’idée fixe du retour dans sa patrie, qui seule bénéficie des résultats de son travail. Cet argument manque de logique, car il est évident que, le jour où le Chinois deviendra un résident permanent, l’invasion marchera à pas de géant et la population américaine disparaîtra dans ces masses compactes d’Asiatiques. Sans ce double courant en sens inverse, la Californie serait depuis longtemps une colonie chinoise.

Il est facile de comprendre la haine des émigrans blancs. Ils voient dans ces nouveaux venus des concurrens heureux contre lesquels la lutte pacifique est impossible. Les Américains, de leur côté, se sentent débordés par cette marée montante, à laquelle ils reprochent non-seulement de ruiner le pays, mais encore de le rendre inhabitable. Après les économistes, parlant au nom des intérêts matériels, écoutons en effet ce que disent les moralistes : — «Les Chinois ont un genre de vie et des habitudes telles que leur présence sur notre sol est un danger permanent à tous égards. Leur malpropreté est extrême, et leurs habitations sont des foyers d’épidémie.