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un rapport d’où nous extrayons les ligues suivantes : « Les effrayantes proportions que l’émigration chinoise est appelée à prendre exigent l’attention de nos hommes d’état. Une race homogène, comptant près de 500 millions d’êtres humains, s’agite et se débat dans un espace insuffisant. La brèche est ouverte; ils affluent sur un sol nouveau, riche et comparativement désert. Ils sont aventureux, patiens dans les difficultés, tenaces et laborieux. Ce flot d’émigration dans sa course vers l’est a atteint ses limites naturelles; il reflue vers le Pacifique, et, comme une marée montante, emporte et rompt les digues. La Providence a voulu que tôt ou tard, pacifiquement ou par la force, ce courant tout-puissant débordât sur le riche et fertile bassin du continent Américain[1]. »

Prédit dès 1855, constaté dans ces termes en 1870, le danger grandit chaque jour. En Australie, la race blanche, menacée dans ses moyens d’existence, réclame des mesures énergiques et, sous la pression populaire, l’assemblée législative de la colonie discute les mesures à prendre pour interdire l’entrée de ses ports à la race asiatique. Les griefs allégués contre elle sont les mêmes à Queensland et à San-Francisco, avec cette différence que la question a pris en Californie un caractère bien autrement aigu et menaçant. Le parti socialiste en effet s’en est emparé pour soulever les masses et il a réussi à provoquer des manifestations telles que pendant quelques jours on a pu se croire à la veille des plus graves événemens. Ce n’est guère que partie remise, et le conflit ajourné renaîtra certainement si satisfaction n’est pas donnée aux passions populaires. Cette satisfaction est-elle possible ? c’est ce que nous allons rechercher dans l’examen des accusations portées contre les Chinois et des mesures suggérées pour conjurer le péril.

Le premier grief allégué est celui-ci : ils vivent de peu, ils n’ont pas de famille à soutenir, ils se contentent d’un salaire infime. Leur vêtement est des plus simples, ils portent des sandales, ne consomment que du riz, du poisson salé et du thé; ils font tout venir de leur pays. Cent Chinois se logent dans un espace qui suffirait à peine à dix blancs; et non-seulement ils n’ajoutent rien à la fortune publique, mais, ainsi que le constatent les statistiques, ils appauvrissent le pays.

L’étude des statistiques locales jette un jour curieux sur la question. Les Américains sont gens pratiques, habiles à tout résumer en chiffres. Il ressort des calculs de leurs économistes que la valeur d’un émigrant de race blanche est d’environ 1,500 dollars. En d’autres termes, on estime à ce chiffre l’excédant moyen de sa production sur sa consommation, c’est sa quote-part dans la plus-value

  1. Rapport officiel de John Eaton, commissaire général, à l’honorable J.-D. Cox, ministre de l’intérieur. — Washington, 1870, p. 422 et suiv.