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l’Australie, l’autre ses états du Pacifique contre une invasion légale, sanctionnée par des traités qu’elles avaient elles-mêmes imposés à la Chine.

On sait la résistance que la Chine, cantonnée dans son immobilité et son isolement séculaire, a longtemps opposée aux sollicitations de la diplomatie et aux efforts de l’Europe et des États-Unis. Parlant au nom de la civilisation, des idées modernes et surtout des intérêts matériels, l’Angleterre affirmait, dès 1840, qu’il n’était plus permis à un empire habité par un tiers-du genre humain de se tenir à l’écart et d’opposer au mouvement général les barrières artificielles d’une civilisation décrépite. Dans son indignation vertueuse, elle sommait le Céleste-Empire d’ouvrir ses portes à l’opium des Indes, aux cotonnades de Manchester et au christianisme. On proclamait hautement les droits du commerce et de libre circulation.

Le 29 août 1842, la Chine, hors d’état de résister, cédait aux exigences de l’Angleterre et signait un traité par lequel elle lui reconnaissait droit d’accès dans certains ports. En 1844, les États-Unis réclamaient et obtenaient par la force les mêmes privilèges. En 1858, l’Angleterre et la France coalisées achevaient de briser la résistance qu’opposaient encore les mandarins et la cour impériale et dictaient à Pékin même un nouveau traité qui consacrait la liberté absolue des communications, le droit sans contrôle d’entrée et de sortie. Plus tard enfin, en 1868, le cabinet de Washington négociant à nouveau obtenait de la Chine l’engagement de n’apporter aucun obstacle à la libre entrée des Américains, et garantissait en échange aux Chinois, sur son sol, le traitement de la nation la plus favorisée. Le négociateur de ce traité, Anson Burlingame, ambassadeur de Chine en Europe et aux États-Unis, était un officier américain, autorisé par son gouvernement à entrer au service de l’empire et choisi par ce dernier pour le représenter et défendre ses intérêts.

C’est par la force seule que l’on a eu raison de l’isolement dans lequel la Chine se renfermait. La force seule a ouvert les portes de ce vaste empire dans lequel pénètrent à peine quelques Européens, mais d’où sort chaque année un flot toujours grossissant d’émigrans. « La Chine, écrivait il y a deux ans un de ceux qui la connaissent le mieux, la Chine enverra quarante millions d’hommes en Amérique et cela sans qu’on s’en aperçoive ici. La race est tellement prolifique que ceux qui resteront n’en éprouveront aucun allégement. » Pour quiconque a vu ces masses compactes, ces innombrables multitudes à la recherche de leur subsistance de chaque jour, cette assertion est d’une rigoureuse exactitude. Dès 1870, le commissaire de l’émigration aux États-Unis adressait au ministre de l’intérieur