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se dessina. De 1855 à 1860 la moyenne annuelle des Chinois débarqués à San-Francisco s’élève à 4,530. De 1860 à 1865 elle est de 6,600. De 1865 à 1870 elle atteint 9,311, et de 1870 à 1875 elle dépasse 13,000. En ce moment on estime la population chinoise en Californie à plus de 150,000 âmes, et ce chiffre s’accroît chaque année dans des proportions telles que le nombre des résidens chinois égale à peu de chose près le nombre total des électeurs de l’état.

Ainsi, en quinze années, la moyenne annuelle de l’immigration chinoise a triplé, alors que, loin d’augmenter, le grand courant de l’immigration des états de l’est et de l’Europe a diminué. Si l’on tient compte maintenant de ce fait que la Chine contient près de 400 millions d’habitans, que la misère y est extrême, que nombre de Chinois en sont réduits à chercher sur les grands fleuves une nourriture précaire, qu’une mauvaise récolte suffit, comme en ce moment, pour compromettre l’existence de 70 millions d’êtres humains, les craintes des hommes d’état américains ne sembleront pas exagérées. Si rien ne vient entraver le mouvement, avant la fin du siècle la Chine aura complètement envahi la Californie et, poussant en avant ses flots d’émigrans, elle s’acheminera vers les plaines riches et fertiles du centre du continent américain. Une guerre d’extermination pourrait seule alors leur reprendre ce qu’ils auraient pacifiquement conquis par l’unique force du nombre, du travail et de l’économie lente et patiente. Ce que serait une pareille guerre on peut aisément se le figurer et ce nouveau conflit de races atteindrait des proportions inconnues jusqu’ici.

Déjà, dans San-Francisco même, il existe une ville chinoise. Dans l’intérieur des terres, nombre d’anciens placers sont occupés et exploités par les Chinois. On les retrouve partout, maraîchers, hommes de peine, blanchisseurs, mineurs, domestiques; ils ont peu à peu accaparé tous les métiers infimes. Ils sont sobres, et peuvent vivre avec le quart du salaire d’un ouvrier de race blanche. Ils sont travailleurs et dans nombre de manufactures on trouve avantage à les employer. Ils sont dociles et n’ont aucune des exigences des Irlandais et des Allemands qu’ils dépossèdent peu à peu des situations subalternes. Ils sont industrieux et économes, intelligens à leur façon, habiles à tourner les difficultés qu’ils ne peuvent surmonter. On s’est bien trouvé de leur concours pour les grands travaux publics. Les entrepreneurs du chemin de fer du Pacifique ont réalisé de beaux bénéfices en substituant des équipes de terrassiers chinois aux Irlandais qu’ils employaient d’abord. Les Chinois en effet se contentaient d’un salaire réduit, travaillaient aussi vite, faisaient aussi bien et obéissaient sans murmurer. En Chine, leur salaire variait de 15 à 25 francs par mois. En Californie ils s’estiment