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obéi, ce qui est vrai c’est que le péril signalé par lui grandit chaque jour. Lentement, mais sûrement, la Chine envahit les états du Pacifique. San-Francisco a jeté un cri d’alarme, le congrès des États-Unis est mis en demeure de prendre des mesures énergiques, le président est assailli par les réclamations des représentans de la Californie, et le London Times lui-même déclare que « la question chinoise peut être à bref délai plus menaçante pour la république américaine que ne le fut il y a dix ans la question de l’esclavage, attendu que l’immigration des noirs n’était pas volontaire et cessait avec la suppression de la traite, tandis que les émigrans chinois affluent et qu’il est impossible de dire quand ce mouvement s’arrêtera. » Devançant l’action toujours lente et mesurée des pouvoirs publics et de la diplomatie, le parti radical socialiste s’est emparé de la question. Il l’agite dans les meetings, la débat dans la rue, passionne les esprits, menace les autorités locales et le pouvoir fédéral lui-même.

En effet, la misère et la famine aidant, l’émigration s’accentue. Les provinces du nord de la Chine souffrent d’une effroyable disette, et ces masses humaines, lentes à s’ébranler, difficiles à contenir, suivent l’irrésistible courant qui les pousse vers les ports et viennent demander à la Californie des moyens de subsistance que leur sol refuse et que leur gouvernement est impuissant à assurer. Le mouvement est encouragé et facilité par six grandes compagnies représentées à San-Francisco par des maisons chinoises de premier ordre, et aussi par la compagnie à vapeur du Pacifique, qui fait entre la Chine, le Japon et la Californie un service régulier en concurrence avec la malle anglaise des Indes par la Méditerranée.

Lorsqu’en 1848 il a découverte de l’or sur les bords du Sacramento provoqua en Europe ce grand courant d’émigration qu’activaient encore les événemens politiques et les commotions sociales, la Chine resta impassible. Les nouvelles et les idées s’infiltraient lentement à travers ses ports à peine entr’ouverts au commerce étranger et franchissaient péniblement le cordon sanitaire dont l’administration chinoise enserrait encore le Céleste-Empire. Cependant tout manquait sur la terre de l’or. Les navires allaient chercher au Mexique, en Australie, à Hong-Kong des vivres, des outils, des vêtemens. La Chine fournit le thé, le sucre, et, dans les ports, quelques matelots chinois, émigrans désespérés ou séduits par les récits de fortunes rapides et d’inépuisables placers. Ces premiers venus réussirent. Les uns retournèrent, les autres firent parvenir des nouvelles favorables; mais la difficulté des communications, le prix élevé du passage, le défaut d’organisation et surtout l’inertie fataliste de la race s’opposèrent d’abord au courant de l’émigration. Ce ne fut guère qu’en 1855, sept ans après la découverte de l’or, que le mouvement