du cabinet, qui se prêtait à toutes les extensions illégitimes de la prérogative royale et ne savait pas imiter Cromwell dans sa fière défense des lois anglaises contre les prétentions de l’étranger. L’attorney général protesta contre l’ordonnance qui le dessaisissait. La foule arrêta en pleine rue le carrosse de l’ambassadeur, et il ne put échapper à des violences sur sa personne qu’en cachant son cordon bleu sous son habit et en déclarant qu’il n’était pas M. de Guerchy, mais son secrétaire. On ne l’en suivit pas moins, en grand tumulte, jusqu’à la porte de son hôtel, où les séditieux auraient pénétré sans une forte grille de fer, qui fut fermée dès que le carrosse fut entré dans la cour et dont la résistance laissa le temps à la force publique d’arriver. Les vitres de la chapelle et celles des appartemens qui donnaient directement sur la rue furent brisées à coups de pierres. Pendant plusieurs jours, ni Guerchy ni sa famille n’osèrent mettre le pied dehors. Les journaux de l’opposition retentissaient d’invectives contre le criminel illustre qui avait su se soustraire à la justice, dont il n’osait braver les regards.
Le séjour de Londres devenait à peu près impossible pour un ambassadeur traité ainsi publiquement d’assassin, et, d’un autre côté, après l’issue de tous ces débats, et dans l’irritation où était tout le monde judiciaire, les tribunaux n’offraient plus aucun recours contre la calomnie. Guerchy, découragé et désorienté, ne songea plus qu’à quitter la partie. Dès le commencement de l’été, il prenait un congé qu’il prolongea plus que de coutume, et d’Éon resta ainsi maître du terrain avec tous les honneurs de la guerre.
Son triomphe fut bien plus complet encore lorsqu’il reçut peu de temps après une proposition nouvelle du comte de Broglie plus avantageuse encore que les précédentes. Celui-ci en effet, lassé aussi de la lutte, qu’il n’avait jamais été du reste (on l’a vu) d’avis de poursuivre à outrance, et désespérant de faire tenir au roi une conduite tant soit peu énergique et suivie, capitulait à son tour. Il offrait à d’Éon de laisser tomber, de part et d’autre, tous les griefs du passé, de ne plus parler ni en bien, ni en mal, ni de Guerchy, ni de l’ambassade, ni du libel, ni de l’assassinat, et, à cette condition, de lui faire reprendre, avec l’autorisation du roi, la correspondance secrète, pour rendre régulièrement compte de l’état de l’opinion publique en Angleterre et de ce qui se passait dans le sein de l’opposition anglaise, où il avait pu se faire des amis.
D’Éon fit quelques difficultés, bien qu’au fond il n’eût garde de refuser un arrangement qui, outre les avantages pécuniaires dont il voyait la perspective, n’était autre chose que cette amende honorable de la puissance royale, que son orgueil avait toujours désirée. Il marchanda pourtant son consentement : « Votre amitié pour moi, répondait-il au comte de Broglie, est aussi grande que ma hardiesse