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roi fut le premier à être informé de l’arrestation par ses ministres, qui, en lui annonçant la nouvelle, durent jouir un peu de son embarras.

Le pauvre monarque ne trouva cette fois encore qu’un expédient à son service, c’était de se recommander à la discrétion des agens subalternes et d’acheter leur silence par une marque précieuse de sa confiance. Comme il avait tout révélé à Guerchy, il fit venir aussi Sartine, pour lui tout avouer et le prier de s’arranger de manière à soustraire les preuves du secret à la connaissance des ministres. Sartine parut très ému de la révélation, mais touché de la confidence. « Je me suis ouvert et confié à lui, écrivait tout de suite le roi un peu soulagé à Tercier, il me paraît que cela lui a plu. » Parole d’une humilité étrange, qu’un auteur de comédie hésiterait peut-être à placer dans la bouche d’un souverain absolu traitant avec un simple officier de police.

Mais comment s’y prendre? L’affaire était entre les mains de la justice ; il n’y avait guère moyen d’e l’étouffer. Il y avait des papiers à examiner et des inculpés à interroger. Praslin voudrait certainement être présent à l’une et à l’autre épreuve. Comment faire pour soustraire avant l’examen officiel les papiers les plus compromettans et empêcher qu’aucune question trop pressante ne fût posée aux prisonniers, de crainte que des réponses indiscrètes ou contradictoires ne s’échappassent de leurs lèvres? Le comte de Broglie consulté ouvrit l’avis que Tercier, de concert avec Sartine, devrait procéder à un récolement préalable des papiers saisis. Introduits ensuite ensemble à la Bastille, ils conviendraient avec les deux agens d’un thème préparé d’avance, qui servirait de base à la fois à l’interrogatoire et aux réponses.

C’était entrer franchement dans la haute comédie. Sartine à première vue s’en épouvanta. Il voulait bien être confident, mais le rôle de complice, ou, si l’on veut, de compère, dépassait son dévoûment et son courage. « J’ai peur, écrivait le roi, que notre affaire ne s’embrouille un peu... Il est impossible que vous puissiez aller à la Bastille avec M. le lieutenant de police, ce serait tout découvrir.» Puis il convenait que, dans un premier interrogatoire, au moment de son arrestation, Brouet s’était un peu compromis ; mais il se remettra, disait-il, et il terminait par cet aveu singulier mis entre parenthèses : « Je sens un peu que je m’embrouille un peu. »

Heureusement le comte de Broglie ne s’embrouilla pas et redoubla d’énergie. Il fit honte à Sartine, en termes très vifs, de sa froideur pour son maître, et au maître lui-même du peu de confiance qu’il inspirait à ses serviteurs. « Je trouve ce magistrat bien timide, écrivait-il au roi ; je ne vois cependant pas ce qu’il peut craindre avec les ordres de son maître. »