Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de guerre de la part de l’Angleterre n’en fût la suite inévitable? » Le comte concluait à enjoindre à l’ambassadeur de laisser d’Éon en paix, et à lui envoyer un de ses amis porteur d’un ordre de la main du roi, lui prescrivant de revenir, en termes affectueux, avec l’assurance spéciale que la protection royale ne lui manquerait pas. Mais quel serait cet ami? La Rozière était naturellement indiqué, puisqu’il était au courant de tout; mais à aucun prix cet officier, justement inquiet de son propre sort, ne voulait entendre parler de retourner en Angleterre. Il était déjà suspect, surveillé, dénoncé à son chef militaire, le duc de Choiseul. Le destin de d’Éon, celui du comte de Broglie lui-même, qu’il avait sous les yeux, l’effrayait. Le secret royal portait malheur, personne ne voulait plus s’en charger. Le comte de Broglie indiquait bien à sa place un autre de ses secrétaires, M. de Nort, pour remplir la commission. Mais à quel titre la lui donner, et quelle confiance ce nouveau visage inspirerait-il à d’Éon?

Le roi ne repoussa pas ce conseil, mais ne mit aucun empressement à le suivre; la difficulté de choisir un agent, l’embarras de trouver un motif plausible à donner à Praslin pour lui faire ménager un serviteur rebelle, l’indolence et l’hésitation qui lui étaient naturelles, tout concourut à le retenir dans l’inaction. « Il ne m’est pas possible, écrivait-il un jour à Tercier, de vous répondre encore sur d’Éon, les réflexions en sont trop grandes... Il faut attendre, disait-il le lendemain, la réponse de M. de Guerchy et plaindre l’humanité... Faites-moi des projets de lettres, sauf à moi à les corriger... D’Éon n’est pas fol, mais orgueilleux et fort extraordinaire ; laissons écouler assez de temps. Je doute que nous eussions la guerre quand il dirait tout ; mais il faut arrêter ce scandale, et soutenez-le de quelque argent ; sa conduite est une trahison au premier chef : dans les tribunaux, que croyez-vous qu’on fît? »

En attendant, la procédure officielle allait son train : d’Éon était déclaré déchu de ses titres, grades et dignités, privé de ses appointemens, coupable de lèse-majesté. En un mot, on lui donnait tous les griefs, on lui inspirait toutes les craintes et on lui laissait en même temps toute la liberté nécessaire pour le décider à se porter à quelque extrémité. Les choses durèrent ainsi pendant plus de trois mois, malgré les instances du comte de Broglie au supplice, qui s’attendait d’heure en heure à un éclat désastreux. Il ne réussit, à se faire écouter que lorsque la fin de son exil, amenée par d’autres circonstances, lui permit de venir en personne insister à Versailles.

Le comte obtint alors, à force de peines, l’envoi d’un négociateur chargé de porter à d’Éon des paroles de paix. Ce fut, comme il l’avait proposé, un de ses anciens secrétaires, attaché aussi pendant la guerre au maréchal de Broglie, M. de Nort. Il eut pour mission