Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un homme et sa besogne quand elles ne sont pas bien faites. On juge moins un ministre sur la manière dont il fait les affaires que sur le compte qu’il en rend... Je crois que notre cher ami fera bien... mais il ne sait pas du tout écrire : nous ne saurions nous abuser là-dessus. D’un autre côté, je ne voudrais pas qu’il se ruinât, le pauvre Guerchy... et je ne saurais lui donner plus de deux cent mille francs de première mise. »

Le duc de Nivernais répondit en proposant un arrangement qui devait fournir à Guerchy, dans les embarras de son noviciat diplomatique, un auxiliaire dont lui-même connaissait le prix. « Rassurez-vous, dit-il, tout ce que vous pouvez désirer s’arrangera, et il dépend de vous de l’arranger à la satisfaction de tout le monde. Vous devez savoir que le petit d’Éon n’est venu à Londres que dans l’espérance de s’en retourner avec moi en France, pour être ensuite placé par vous quelque part en qualité de résident ou de ministre, étant un peu las d’avoir secrétarisé depuis si longtemps dans des postes si divers. Mais il vous est tendrement attaché, toutes ses répugnances et tous ses désirs se combineront toujours avec vos intentions, et ce qu’il souhaite par préférence est de faire ce qui vous plaît. En revanche, il est juste que vous cherchiez de votre côté à lui faire plaisir, et voici comment cela peut s’arranger très parfaitement et très utilement pour son bien, pour celui du roi et pour celui de mon successeur, que je suppose notre ami Guerchy. Donnez-lui la place de résident avec tels appointemens que vous voudrez; il est très aisé à vivre, il en sera plus considéré ici et partant plus utile : il en sera aussi plus content. — Une chose que je dois vous dire encore, ajoutait le duc, sur notre pauvre ami, c’est que, s’il amène sa femme, il fera très mal, je ne dis pas pour la dépense; mais une femme française ne réussira jamais ici, et sachez que Mme la duchesse de Mirepoix, qui est très aimable et qui a même l’humeur très prévenante, les manières très flexibles, a eu bien de la peine à y réussir. D’ailleurs notre pauvre ami allant toutes les années passer trois ou quatre mois à Versailles, cet arrangement rendrait une femme bien embarrassante. »

Le duc de Praslin n’était qu’à moitié convaincu du dévoûment absolu de d’Éon à tous ses intérêts. Des bruits avaient circulé sur l’intimité du jeune homme avec les Broglie qui ne paraissaient pas tout à fait rassurans. On l’accusait même (sachant qu’il écrivait volontiers) d’avoir collaboré à un mémorandum sur la bataille de Fillingshausen, qui avait amené la disgrâce des deux frères. Il n’en était rien : d’Éon affirme qu’il n’avait fait qu’en transcrire plusieurs copies; mais on avait reconnu son écriture. Il n’en fallait pas davantage pour mettre le ministre en garde. Avant de donner à d’Éon la preuve de confiance que Nivernais sollicitait, il le fit mander un