d’un tempérament aussi froid que son humeur était éveillée et ardente.
Il ne semble pas à distance que ce fût là un mélange bien agréable ni fait pour plaire soit à un sexe, soit à l’autre. D’Éon plaisait pourtant, il faut le reconnaître, et ses gasconnades, souvent du plus mauvais goût, étaient prises en bonne part, grâce sans doute à sa bonne humeur constante et à sa promptitude à se charger de toutes les missions difficiles. C’est ainsi qu’il fit complètement la conquête d’abord du chevalier Douglas, puis de son successeur, le vieux marquis de l’Hôpital, voluptueux blasé, perclus de goutte, qui ne lui reprochait qu’une seule chose, c’était de ne pas user des plaisirs dont il avait lui-même fait abus et était forcé de faire pénitence. En quittant la Russie, il fut envoyé à l’armée du Rhin, où des traits d’une valeur sérieuse lui attirèrent la même faveur, mieux méritée, de la part de bons juges comme le maréchal et le comte de Broglie. Il entra même avec ces deux seigneurs dans des relations si intimes qu’au moment de leur exil il demeura le correspondant habituel qui leur faisait part des nouvelles de la cour. Dans toutes ces lettres respirait le dévoûment le plus vif et le plus tendre pour le maréchal. Le comte appréciait fort ses jugemens sur la politique extérieure, et principalement sur la situation de la Russie (où il avait gardé des relations), qu’il analysait avec sagacité et intelligence.
Son succès était plus facile et ne fut pas moins grand auprès du duc de Nivernais, qu’il accompagna à Londres. On sait qui était ce neveu de Mazarin, grand seigneur, bel esprit, mollement égoïste, qui passa une douce existence entre les missions diplomatiques et les séances de l’Académie, jusqu’au jour où il vit tomber dans l’abîme la société factice dont il était le charme et dont il demeura, jusqu’à son dernier soupir, un type achevé. D’Éon lui-même l’a peint dans ses Mémoires avec des couleurs plus vives et moins forcées qu’il ne s’en trouve habituellement sous sa plume. « La franchise et la gaîté, dit-il, sont le caractère; principal de ce ministre, qui, dans toutes les places et ambassades qu’il a eues, y a toujours passé comme Anacréon couronné de roses et chantant les plaisirs, même au sein des plus pénibles travaux... Sa facilité naturelle et son heureux enjoûment, sa sagacité et son activité dans les grandes affaires ne lui permettent pas d’avoir jamais aucune inquiétude dans la tête ni de rides sur le front... Il est peu sensible à la haine et à l’amitié, car d’un côté il est séparé de sa femme et ne lui fait aucun mal; de l’autre, il a une maîtresse et ne lui fait pas grand bien... En tout, c’est certainement un des plus enjoués et des plus aimables ministres d’Europe. »