Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 29.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est humain appartenant aux poètes, tout ce qui touche à la vie de l’âme, à ses idées, à ses tourmens, à ses espérances ou à ses désespoirs. De vastes hypothèses, nées sur les confins de la science et jouant un grand rôle dans la science elle-même, qu’elles agitent et qu’elles sollicitent vers de nouvelles recherches, apparaissent avec des ambitions illimitées, les unes essayant de réunir les lois de la nature dans une grande synthèse, les autres, plus hardies, ne tentant rien moins que de pénétrer jusqu’au principe même des choses. L’idée de l’évolution par exemple, appliquée avec succès dans certaines parties de l’histoire de la nature, se porte audacieusement, dans l’ardeur de sa fortune nouvelle, pour la loi unique, contenant l’explication universelle des phénomènes et la solution définitive de la grande énigme. Elle n’est encore qu’une hypothèse, mais cette hypothèse suffit à remuer profondément les esprits, à les agiter dans un sens ou dans un autre. Si elle réussissait dans son entreprise, que de modifications en résulteraient dans notre manière de concevoir les choses et la vie ! Quelle suggestion d’idées nouvelles sur l’origine et la fin des êtres, sur le principe et la destinée de l’homme ! Et de là que de luttes et quel drame dans la conscience des générations nouvelles ! D’une part, ce sont les anciennes doctrines philosophiques ou religieuses, les vieilles institutrices de l’humanité, menacées par ces conquérans nouveaux jusque dans les domaines jusqu’alors inviolables de l’absolu, contraintes à renouveler leurs argumens et leur défense, grandissant par cette contrainte même, brusquement réveillées de leur quiétude et rajeunies elles-mêmes dans leur commerce avec la science, dont elles acquièrent de plus en plus l’intelligence et le goût, et dans laquelle elles puisent, avec une conception plus étendue et plus précise de l’univers, des idées plus approfondies sur le vrai sens de la finalité et sur les grands aspects de l’ordre universel. D’autre part, ce sont toutes ces théories, bien jeunes encore, bien peu assurées de leur avenir, mais enivrées de leurs premiers succès, enhardies à tout renouveler et, en attendant, à tout détruire, poursuivant à travers les ruines du passé un idéal inconnu, sans lequel l’humanité, dépouillée de l’ancien, ne pourrait subsister ni vivre une heure, s’avançant avec une intrépidité que rien n’arrête dans toutes les régions de la pensée, et soulevant autour d’elles des enthousiasmes et des colères également sans justice et sans mesure. — Enfin, entre les vieux dogmes que l’on prétend renverser et l’idéal nouveau que l’on n’aperçoit pas encore, il y a pour beaucoup d’âmes un état de crise vraiment pathétique dont un poète contemporain a su tirer un brillant parti pour son inspiration et l’occasion d’un grand succès, montrant par son exemple que la rénovation de la poésie est possible,