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les ports, les voies navigables, n’était-il pas la conception décevante d’un esprit ambitieux et chimérique ? Ne dépassait-il pas les ressources, les facultés financières du pays ? N’avait-il pas déjà rencontré, n’était-il pas exposé à rencontrer encore la résistance du membre du gouvernement qui, selon le mot vulgaire, tient les cordons de la bourse ? Les discours de Boulogne et de Calais ont eu justement pour objet d’éclaircir ces questions ou ces doutes, de ramener à leurs vraies proportions les projets de M, de Freycinet, d’affirmer enfin la cordiale entente des deux ministres et du gouvernement tout entier. M. de Freycinet, pour sa part, s’est chargé de préciser sa pensée, de bien expliquer qu’il ne s’agit nullement d’engager d’un seul coup une dépense démesurée, que tout sera nécessairement proportionné aux circonstances qui se produiront chaque année. M. Léon Say, à son tour, s’est chargé de rendre sensibles par des chiffres les ressources régulières, la puissance de l’épargne française, et comme en définitive tout doit se passer à la pleine lumière, sous le contrôle incessant de la presse, sous la juridiction du parlement, il n’y a plus là aucune obscurité de nature à troubler ou à émouvoir l’opinion. M. de Freycinet a résumé sa pensée en disant que, si la conception est hardie, l’exécution restera prudente. Il l’avait déjà dit, il l’a répété ; les deux ministres se sont étudiés à dissiper tous les nuages, à tranquilliser les esprits. C’est là un premier résultat des discours de Boulogne et de Calais ; mais ce n’est pas le seul. Ce voyage du nord, succédant aux autres excursions ministérielles de ces derniers temps, aux discours qui ont été prononcés, n’est point certainement sans avoir son importance politique.

Ce qui n’est pas douteux c’est qu’à Boulogne et à Dunkerque, comme il l’avait déjà fait en Normandie, M. le ministre des travaux publics a saisi avec habileté l’occasion de préciser une fois de plus la politique du gouvernement, et il a surtout réussi par l’expression heureuse qu’il a su donner à une pensée élevée de modération et de conciliation. M. de Freycinet a le mot précis et juste ; il parle sans effort, en homme de gouvernement, en politique sérieux, sans descendre à flatter de vulgaires passions ou des préjugés de parti, et si, ministre de la république, il avoue tout haut l’intention de populariser, d’affermir la république, il ne cache pas à quel prix, à quelles conditions le régime nouveau peut devenir définitif et durable. M. le ministre des travaux publics n’est pas de ceux qui comptent sur la magie d’un nom ou d’une formule, qui croient que les gouvernemens se fondent et vivent sans beaucoup de temps, de patience et de peine, sans avoir à conquérir la confiance par leurs œuvres et sans prouver qu’ils sont dignes de présider aux affaires d’une grande nation. Il l’a dit l’autre jour : « Nous prouverons que nous sommes un meilleur gouvernement en gouvernant réellement